La crise que
traverse l’Europe en ce printemps me parait plus grave que celles auxquelles
nous étions accoutumés. Jamais le cercle vicieux de l’impuissance et de
l’impopularité n’a été aussi évident. Impuissante parce que divisée, comme on
l’a vu à propos de la vague migratoire et de l’accueil des réfugiés, l’Europe
est devenue impopulaire. Elle se révèle incapable d’organiser la solidarité qui
devrait unir les membres d’une Union « sans cesse plus étroite ». Il
est significatif que le premier ministre Cameron ait obtenu sans grande
difficulté, comme l’une des concessions permettant au Royaume Uni de rester
dans l’Union, d’être exonéré de cet objectif. Les deux questions qui dominent
l’actualité européenne sont la menace du Brexit (retrait du Royaume-Uni) et la
poursuite de la crise migratoire.
La menace du Brexit
L’échéance
immédiate est celle du référendum du 23 juin. Je respecte l’avis de ceux qui
pensent qu’un départ du Royaume-Uni ôterait un obstacle aux progrès de
l’intégration mais je ne le partage pas. La première conséquence d’un succès
des brexiters serait un profond
ébranlement politique, économique et monétaire. Outre la perte de confiance
dans l’avenir de la construction européenne, en Europe mais aussi sur les
autres continents, rien ne permet d’espérer la constitution d’un front uni dans
la négociation des conditions de la sortie et du statut qui pourrait être
consenti à la Grande-Bretagne. On peut prévoir que la Commission se montrerait
ferme afin de décourager d’autres tentations. Mais serait-elle soutenue par des
gouvernements dont la préoccupation majeure sera de sortir aussi vite que
possible de cette nouvelle crise et d’en pallier les conséquences sur l’économie ?
La clause de
retrait introduite dans le traité de Lisbonne prévoit un délai de deux ans à
partir de la demande de retrait. Il appartiendrait donc aux Britanniques de
fixer le départ du délai. Mais nul ne sait ce qu’il adviendrait d’un Premier
ministre désavoué sur une question majeure. Or le nombre de questions à régler
serait immense depuis celle du régime commercial jusqu’à celle des agences
exécutives et des fonctionnaires de nationalité britannique. Les représentants
du Royaume continueront à siéger dans les instances de l’UE tant que le traité
de sortie ne sera pas en vigueur. Pourraient-ils se voir confier la présidence
tournante qui devait leur échoir au second semestre de 2017 ?
Je me
garderai de tout pronostic sur le résultat du vote. La bataille sur les
conséquences économiques du Brexit semblait gagnée après de multiples mises en
garde. Cependant les partisans de la sortie de l’UE, forts du renfort du très
populaire ancien maire de Londres Boris Johnson, sont plus ardents et soutenus par
une presse populaire passionnément hostile à l’UE. Les partisans du maintien plus
nombreux parmi les jeunes sont moins ardents et plus abstentionnistes. Le
Premier ministre a de la peine à faire entendre un discours dans lequel il
énumère tous les avantages non seulement économiques mais politiques que le
Royaume-Uni a tirés de son appartenance à l’Union alors qu’il ne cessait
naguère de les contester. On notera qu’en conclusion de ces déclarations, il ne
manque pas néanmoins de se féliciter d’avoir bloqué toute avancée vers une
Europe politique.
Une sortie
du Royaume-Uni pourrait enfin conduire à son éclatement si, comme il est
probable, les indépendantistes écossais, europhiles, en tiraient argument pour
réclamer un nouveau référendum. On peut aussi redouter les conséquences d’un
Brexit sur les relations inter-irlandaises et la reprise d’un conflit séculaire
que la commune appartenance à l’UE avait contribué à apaiser.
Les réfugiés, une crise
dont on ne voit pas la fin
Après quelques mois, on peut prendre
la mesure de l’ampleur du drame auquel l’Europe est confrontée. L’idée suivant
laquelle il existe en Europe une terre d’accueil ouverte aux victimes des
régimes tyranniques et des différentes formes de guerre qui sévissent en
Afrique et au Proche-Orient est un élément nouveau dans la géopolitique
internationale. Il n’est pas surprenant que les réactions face à ce phénomène
opposent des peuples dont l’histoire est diverse. Entre la générosité initiale d’Angela
Merkel et le refus des pays d’Europe centrale d’accepter la décision de
relocalisation des demandeurs d’asile décidée par le Conseil européen,
l’incompréhension est totale. Après avoir donné le spectacle de décisions
unilatérales prises sans concertation, la situation est en voie de lente amélioration.
La mise en place des hotspots permet l’enregistrement des
migrants lors de leur arrivée sur le territoire. L’accord passé avec la
Turquie, contestable au regard de l’évolution de ce pays vers un autoritarisme
dictatorial, n’en a pas moins révélé son efficacité. Mais pourra-t-on longtemps
considérer la Turquie comme un pays sûr au sens du droit d’asile ?
Alors que la filière turque et
balkanique a été interrompue par diverses fermetures de frontières décidées
unilatéralement d’abord par la Hongrie, puis par l’Autriche et, à son
initiative, par l’ensemble des pays des Balkans et, en dernier lieu par
l’accord avec la Turquie, on assiste ces derniers jours à une réanimation de la
filière libyenne, la plus meurtrière. Tel un mirage apparait puis se dissipe
l’espoir de l’émergence en Lybie d’un pouvoir susceptible de faire appel à
l’aide de l’UE. Les migrants venant de Lybie sont en majorité des migrants
économiques ne relevant pas du droit d’asile mais d’accords de réadmission.
L’octroi de moyens supplémentaires à l’agence Frontex est en cours ainsi que la
création dont le principe semble acquis d’un corps de garde-frontières
européen. Sans un contrôle effectif de la frontière extérieure, il sera difficile de rétablir la libre
circulation qui était un des acquis majeurs de l’UE. Une politique
migratoire commune impliquerait un
accord, non seulement sur les critères de l’asile, mais sur les objectifs
démographiques.
Pour la France, la constitution à
Calais d’une zone peuplée de candidats à l’entrée en Angleterre et refusant
l’asile en France a représenté une difficulté particulière en voie de lente
résolution à laquelle contribue l’OFPRA (Office français de protection des
réfugiés et apatrides). Longtemps hésitant à accepter la relocalisation de
réfugiés suivant le système de quotas par pays, le gouvernement français s’y
est finalement résolu. Notre effort demeure modeste au regard de celui non
seulement de l’Allemagne, mais aussi de la Suède et de l’Autriche où un
candidat populiste a manqué de peu d’être élu président de la République.
Contentieux avec la Pologne sur l’Etat de droit
Le gouvernement polonais issu
d’élections qui ont donné le pouvoir à la droite populiste et nationaliste a
décidé de réformer la Cour constitutionnelle et notamment d’annuler des
nominations récentes, décision annulée par ladite Cour comme contraire à la
constitution. Ayant refusé de se soumettre à cet arrêt, le gouvernement
polonais dirigé en sous-main par Jaroslaw Kaczynski fait l’objet d’une
procédure visant au respect de l’Etat de droit. Le premier vice-président de la
Commission, le Néerlandais Frans Timmermans s’est rendu en Pologne. Les
manifestations qui ont rassemblé des foules à Varsovie sous les couleurs du
drapeau européen laissent espérer un repli des Autorités polonaises qui sont
par ailleurs en conflit avec l’Europe à propos de l’accueil des réfugiés. Sur
ce dernier point, la Pologne bénéficie du soutien de la République tchèque, de
la Slovaquie et de la Hongrie, tous pays hostiles au multiculturalisme et
opposés à la décision de répartition de quotas de migrants.
Accords de libre-échange
Les accords déjà négociés mais non
encore ratifiés avec le Canada et en cours de négociation avec les Etats-Unis
font l’objet d’une intense polémique. Connus sous les sigles CETA
(Comprehensive Economic and Trade Agreement - Canada), TAFTA (Transatlantic
Free Trade Agreement) ou TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership -
Etats-Unis), leur objet ne se limite pas à un abaissement des droits de douane
mais vise à une harmonisation ou, à défaut, à une reconnaissance des normes
visant notamment la protection des consommateurs ou de l’environnement. Le CETA
qui prévoit un tribunal arbitral public est soutenu par le gouvernement
français plus réservé concernant le TAFTA, notamment au regard des offres
américaines relatives aux marchés publics et de la protection des appellations
d’origine. Les opposants nombreux et virulents redoutent un alignement sur des
protections réduites. Le principal argument en faveur du TAFTA est la chance
d’imposer des normes communes à l’échelle mondiale, notamment à la Chine.
La bataille du glyphosate
La prolongation de l’autorisation
d’utiliser le glyphosate, plus connu sous l’appellation round up offre un exemple d’actualité de l’importance prise par la
bataille des normes. En présence d’avis contradictoires du centre de recherche
sur le cancer dépendant de l’OMS et de l’agence européenne de sécurité des
aliments sur le potentiel cancérogène probable ou improbable du glyphosate, la
Commission a proposé, en attendant de nouvelles études, la prolongation d’une autorisation
qui expire fin juin. La majorité nécessaire n’a pas été obtenue au Conseil. Les
gouvernements sont partagés, les ministres de l’Agriculture étant généralement
favorables à un produit massivement utilisé par les agriculteurs.
OTAN et défense européenne
Les manœuvres de l’OTAN en Pologne et
dans les Etats baltes soulignent la dépendance dans laquelle se trouvent les
Européens face à la volonté de Poutine de rétablir le statut de grande
puissance de la Russie, notamment dans « l’étranger proche ». Une
éventuelle accession de Donald Trump à la Maison blanche poserait en termes
nouveaux le problème de la défense de l’Europe. Plus que jamais s’imposerait
une revalorisation et une mutualisation des budgets et des programmes. C’est un
thème qui devrait être abordé avec les Britanniques quel que soit le résultat
du référendum du 23 juin.
Une
relance difficile
De même, quel que soit le résultat du
vote du 23 juin, on s’accorde à penser qu’une redéfinition, une mise à jour du
projet européen s’imposera. Mais ne nous berçons pas d’illusions. Les obstacles
sont considérables. Se pose d’abord la question de l’initiative et du cadre. Les pays du Sud, la France en premier lieu, ne
semblent pas sur la voie d’une remise en ordre de leurs finances et l’Allemagne
refuse tout nouveau progrès d’intégration conduisant à plus de solidarité. Ni
les uns, ni les autres ne sont prêts à accepter des décisions majoritaires dans
ces domaines et moins encore en matière de sécurité intérieure et extérieure.
Or toute relance serait vaine qui ne préciserait pas les objectifs et les modes
de décision.
°°°
En guise de conclusion, ce bel hommage d’Obama aux Européens prononcé le 25 avril à
Hanovre : « Peut-être faut-il un ami de l’extérieur pour vous
rappeler la grandeur de ce que vous avez accompli. »
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