Sauver l’Europe ! d’Hubert Védrine
Editions Liana Levi
L’ancien
collaborateur de François Mitterrand et ancien ministre des Affaires étrangères
de la cohabitation Chirac-Jospin nous livre, en moins de cent pages, un plan de
sauvetage de l’Europe. Il ne peut que déplaire à ces fervents d’une
« union sans cesse plus étroite » à qui Hubert Védrine impute la
responsabilité de l’euroscepticisme ambiant. La qualité de l’homme et le poids
de son influence n’en justifient pas moins un examen approfondi de son analyse
de la crise européenne et de ses propositions de refondation.
Un diagnostic unilatéral
Le
diagnostic d’Hubert Védrine part d’une critique radicale des européistes-fédéralistes
dont les ambitions intégrationnistes et uniformisatrices auraient provoqué un
rejet du projet par les peuples. Ces « téléologistes » ne
représenteraient, selon l’auteur, qu’environ 1% de l’électorat. Leur influence
sur les élites ne permettrait plus de convaincre les peuples. Le Brexit en
serait la plus récente manifestation. Les solutions à ce qui apparait comme une
crise existentielle accentuée par les craintes suscitées par l’afflux des réfugiés
demandeurs d’asile ne sauraient être recherchées dans une fuite en avant
institutionnelle répondant à un appel imprudent à plus d’Europe, par exemple un
ministre des finances qui dépossèderait les ministres nationaux.
Curieusement
de la part d’un membre de la mouvance socialiste, Hubert Védrine voit dans
l’excès de réglementation le facteur prépondérant de ce désamour. Il a
cependant l’honnêteté de reconnaître la responsabilité des administrations
nationales, notamment françaises, dans certains excès de la normalisation
communautaire. En souhaitant lui-même une écologisation de l’agriculture, il
admet implicitement la nécessité de règles communes.
Ce n’est
pas négliger ce qu’il y a de fondé dans ce diagnostic que mettre en lumière les
autres facteurs qui sont à l’origine de l’euroscepticisme, voire de
l’europhobie. Depuis l’échec, en 1954, du projet de Communauté politique qui
devait coiffer la Communauté de Défense, le projet européen s’est enfermé dans l’économie. Outre la politique étrangère
et la défense, tenues hors de la compétence communautaire, les dimensions
sociale, culturelle, civique ont été négligées. L’adhésion des anciens
satellites de l’Union soviétique n’a pas été suffisamment liée à des
engagements démocratiques contraignants et à des réformes de nature à donner
aux peuples un réel sentiment de participation. La puissance symbolique du passage
à la monnaie unique a été affaiblie par le recours à des signes abstraits sur
les nouveaux billets et par une calamiteuse désinformation concernant les conséquences
sur les prix de l’introduction de la nouvelle monnaie. Dans le même temps, la
Commission s’est vu confier un rôle disciplinaire qui ne pouvait que la rendre
impopulaire, sans que pour autant les avantages procurés par l’Union aient fait
l’objet de campagnes d’information efficaces.
La création d’une deuxième présidence, celle
du Conseil européen, l’adoption de facto de la règle un commissaire par Etat,
n’a pas amélioré la visibilité institutionnelle et le dialogue avec les citoyens. Le mode d’élection
du Parlement dans un cadre exclusivement national et la disproportion excessive
dans la répartition des sièges au profit des pays les moins peuplés contrarient
l’émergence d’une légitimité
démocratique européenne. La désignation, avant les élections européennes, de
candidats des deux principaux partis à la présidence de la Commission, tout en marquant
un progrès, n’a pas eu les résultats espérés. La participation électorale n’a
que faiblement augmenté. En dépit de tous ces facteurs négatifs, la confiance
accordée aux institutions européennes, selon les enquêtes d’Eurobaromêtre,
apparait certes en déclin mais supérieure à celle dont bénéficient les
institutions nationales.
Hubert
Védrine, dans sa propension à attribuer aux européistes la responsabilité de
l’euroscepticisme, néglige ce qui en est le facteur principal, à savoir la
mondialisation et plus précisément la montée d’une concurrence des masses
asiatiques dont la sortie de la misère s’accomplit par un transfert des
activités productives que nous n’avons pas su prévoir. Au demeurant, le
mécontentement qui en résulte de la part des victimes des délocalisations ne
s’adresse pas seulement, comme Hubert Védrine voudrait nous le faire croire,
aux institutions européennes mais à tous les pouvoirs établis.
Relance ou refondation ?
Le
plan Védrine consiste à réunir une « conférence refondatrice » d’une
durée supérieure à celle des habituels sommets européens mais inférieure à
celle d’une convention. L’objet de cette conférence qui au départ ne réunirait
que les représentants des Etats membres serait de dresser « le bilan
politique de la construction européenne, de ses méthodes, de son mode de
fonctionnement et de décision, de sa bureaucratisation progressive, de son
rapport avec les peuples » sur la base de trois rapports établis par de
grands anciens, des dirigeants actuels et des représentants de la société
civile. Seraient abordés ensuite la clarification du rôle de la Commission dans
les politiques à maintenir après inventaire et la définition limitative de
nouveaux domaines clés où la valeur ajoutée du niveau européen serait évidente.
La
singularité du plan Védrine consiste à faire précéder ce bilan politique par la
proclamation d’une pause dans l’intégration en vue de « renouer le contact
avec les sceptiques et de les détacher des anti-européens idéologues…, de
parler à la grande majorité en train de décrocher pour la convaincre à
nouveau. » Il s’agit en fait d’un pari risqué. On imagine les
anti-européens de tout bord s’engouffrer dans la brèche et saisir l’occasion de
cette autocritique de l’intégration pour jeter à bas ce qui a été péniblement
construit en près de quatre-vingts ans.
Si
l’on doit s’interroger sur les origines de l’euroscepticisme et sur le signal
négatif que donnerait la proclamation d’une pause, on les analyses d’Hubert
Védrine sur la plupart des questions d’actualité : déficits, dette,
environnement, réfugiés… emportent la conviction. De même on ne peut
qu’approuver la solution proposée pour le cadre de la refondation : les
Vingt-sept, la zone euro, les fondateurs ? « L’exclusion est impossible.
Le programme et l’ambition feraient la sélection » Cela suppose qu’un groupe
d’Etats propose une avancée qui, aujourd’hui ne pourrait se limiter à
l’harmonisation économique, sociale et fiscale mais devrait s’étendre à la
politique étrangère et à la défense. Si la volonté politique était là, les
clauses du traité de Lisbonne relatives aux coopérations renforcées ou
structurées permettraient à un groupe d’Etats de constituer une avant-garde
qui, en cas de succès, ne manquerait pas de s’élargir.
Les
avancées possibles sans nouveaux traités sont considérables. Citons à titre
d’exemple la création (en cours) d’un corps de garde-frontières, l’augmentation
des ressources propres, la création d’eurobonds et d’un Trésor européen,
l’harmonisation de la fiscalité des entreprises, la transformation du Fonds
social en instrument de retour à l’emploi, le renforcement d’Europol et
d’Eurojust, la création d’un Parquet européen, la dotation de l’Agence de
défense de moyens lui permettant de financer les recherches en matière
d’armements, la mise en place d’un état-major européen.
A propos de
défense cependant on a du mal à comprendre le soutien donné au projet de traité
entre France, Allemagne et Royaume-Uni curieusement issu de la Fondation Robert
Schuman, avec les meilleures intentions. Outre le peu de vraisemblance d’un
revirement d’une position britannique traditionnellement hostile à tout
engagement de défense hors de l’OTAN, un tel traité, s’il venait à être
seulement envisagé, serait de nature à dresser un obstacle de plus sur la route
d’une Union européenne devant, pour relever les défis, se donner une dimension
plus politique. Un traité conclu après le Brexit entre les trois principales
puissances européennes équivaudrait à renoncer à tout progrès en direction
d’une défense européenne organisée dans le cadre de la « coopération
structurée » prévue dans le traité de Lisbonne. En second lieu, offrir au
Royaume-Uni le statut de partenaire privilégié en matière de défense
reviendrait à le récompenser pour sa désertion. On imagine le parti que les
négociateurs britanniques du Brexit pourraient tirer d’une telle offre s’ils
n’étaient paralysés par leur obsession de ne pas affaiblir l’OTAN.
Plutôt
que d’un nouveau traité, nous aurions besoin, après l’élection de Trump, d’une
réaffirmation de l’engagement des Etats-Unis. A défaut de l’obtenir, nous
devrons enfin nous décider à organiser une véritable défense européenne, bras
armé d’une politique étrangère commune qui reste à construire. Déterminer les modalités d’une éventuelle
participation d’un Royaume-Uni associé à l’Union européenne pourrait être un
des chapitres de la négociation post Brexit dans laquelle il importe que la
position britannique demeure celle du demandeur.
On
ne peut, en revanche, que rejoindre Hubert Védrine dans son plaidoyer en faveur
de la préservation du mode de vie européen. Par mode de vie, il
entend « un certain équilibre entre individu et groupe, liberté et
organisation, protection et expérimentation, équilibre propre aux sociétés européennes
actuelles… » Nous pouvons même lui accorder que la transition nécessaire
pour maintenir « une certaine douceur de vivre en Europe » ne passe
pas seulement par de nouvelles règlementations. « Au niveau européen, il
faudrait donc faire connaître les bonnes et mauvaises pratiques, suggérer,
encourager, entraîner, fixer des objectifs, des calendriers, sans se substituer
systématiquement aux Etats membres, aux collectivités locales, aux entreprises…
ni tout règlementer en détail ».
Si,
comme on peut l’espérer, le drame syrien et les craintes suscitées par
l’improbable duo Trump-Poutine, forcent l’entrée de l’Europe dans la campagne
de l’élection présidentielle, le plan Védrine, avec ses ombres et ses lumières,
devrait en être un des éléments.
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