Observatoire
de l’Europe par Robert Toulemon
27
septembre 2016
Après le Brexit
Notre Union
européenne est, en cet automne, plongée dans une crise existentielle dont le
référendum britannique du 23 juin et la crise des réfugiés sont les deux
principaux éléments. Le climat d’euroscepticisme plus ou moins teinté de
nationalisme qui s’est répandu partout ne permet pas le sursaut qui devrait
s’imposer face notamment au terrorisme islamiste.
Le Brexit
Pour la première fois un de ses Etats membres
décide de quitter l’Union suivant les dispositions introduites par le traité de
Lisbonne. Est ainsi démontré que l’Union n’est pas une prison. Le choc n’en est
pas moins considérable. Le Royaume-Uni avait multiplié les oppositions aux
mesures intégratrices et obtenu nombre de dérogations, la principale concernant
l’union monétaire. Cameron avait arraché la possibilité de restreindre les
droits sociaux des migrants dans un pari qui s’est révélé perdant. La nouvelle
Première ministre Theresa May, sans s’être fortement engagée, était favorable
au maintien dans l’Union comme la majorité des membres du Parlement. Le succès
du Brexit est celui des catégories populaires les plus âgées et les moins
instruites. Cameron pouvait difficilement plaider les avantages de l’UE après
en avoir constamment dénoncé les contraintes.
Le traité
prévoit un délai de deux ans pour la négociation des conditions du retrait et
des futures relations avec l’Union. Le point de départ du délai n’est pas la
date du référendum mais celle de la notification de la décision de retrait par
le gouvernement britannique. Ce dernier, n’ayant pas prévu l’hypothèse du
retrait, manifeste si peu de hâte que d’aucuns se demandent si la décision sera
jamais prise. On s’interroge aussi sur l’éventualité d’un vote du Parlement.
Mme May a voulu balayer ces doutes par la formule « Brexit means Brexit » sans pour autant avoir donné la moindre
indication au sujet du statut qu’elle souhaite obtenir et qui divise les
membres de son gouvernement. Parmi les différentes formules envisageables
(modèles norvégien, suisse, turc), on peut prévoir que les Britanniques
s’efforceront de conserver le plein accès au marché unique tout en limitant
l’ouverture du royaume aux migrants venant de l’UE. Ce point, celui de leur
contribution au budget et celui du statut de leurs établissements financiers
laissent prévoir une négociation difficile. L’UE va vivre plusieurs années une
situation paradoxale. A l’exception des négociations du Brexit, le Royaume-Uni
continuera à participer aux instances et aux décisions. Ainsi un nouveau
commissaire britannique, Julian King, s’est présenté devant le Parlement
européen. Il sera en charge des questions de sécurité. Il succède à Jonathan
Hill qui avait d’autres responsabilités (services financiers) et qui avait
démissionné après le référendum. Jean-Claude Jungker a désigné Michel Barnier
en vue, dit-on, de garantir le rôle de la Commission dans la négociation.
Ce
« Brexit » a révélé la profondeur de la coupure entre Londoniens et
Ecossais pro-Europe et le reste du Royaume. Il a aussi libéré des pulsions
xénophobes dont ont souffert les Polonais inquiets pour leur avenir. On a vu, a
contrario, des milliers de manifestants acclamant l’Europe dans les rues de
Londres sous la bannière aux douze étoiles. Les démarches de Britanniques
désirant conserver un passeport européen se multiplient dans les ambassades,
notamment celle de l’Irlande.
La crise
des réfugiés
L’incapacité
de définir et de faire exécuter une politique commune face au défi migratoire
constitue un très lourd échec pour l’Union. Il s’agit d’une crise complexe dont
on peut penser qu’elle sera durable et qui met en cause un acquis européen
essentiel, la libre circulation des personnes. Au mouvement croissant depuis
plusieurs années de migrants économiques en provenance de l’Afrique
subsaharienne s’est ajouté un afflux de
réfugiés politiques ou de guerre venant principalement de Syrie mais aussi d’Afghanistan, d’Irak, d’Erythrée
et du Soudan. La répartition des réfugiés entre les Etats proposée par la
Commission et décidée par le Conseil à la majorité qualifiée a été refusée par les
pays du groupe de Visegrad. Le règlement de Dublin qui attribue la charge de
l’asile au pays de première entrée dans l’Union impose une charge inéquitable à
l’Italie et à la Grèce. La politique d’accueil de la Chancelière Merkel,
largement soutenue au début par l’opinion publique allemande, suscite une
opposition croissante de la part de la CSU bavaroise et du nouveau parti AfD
(Alternative pour l’Allemagne) qui multiplie les percées électorales. Les
initiatives de la Chancelière, peu concertées, s’expliquent par les réticences
et les divergences des partenaires. Mais elles n’ont pas facilité la tâche de
la Commission. L’accord conclu avec le président turc Erdogan a contribué, avec la fermeture des frontières
par les pays des Balkans à soulager quelque peu la Grèce et à reporter le flux
vers la Libye et l’Italie et à multiplier le nombre de naufragés, sans parler
du sort atroce de certains prisonniers des milices libyennes. Les difficultés
de relocalisation des réfugiés à partir de la Turquie, le désaccord sur les
visas accentué par la dérive autoritaire d’Erdogan, l’hypocrisie de la reprise
des négociations d’adhésion laissent peser les plus grands doutes sur la
pérennité de cet accord.
Cette affaire des réfugiés est un piège
redoutable pour une Union qui n’en avait pas besoin. Elle suscite des
oppositions passionnelles entre les gouvernements tout comme à l’intérieur de
chaque Etat Comment distinguer durablement les demandeurs d’asile politique les
réfugiés de la misère et les migrants économiques ? Comment renvoyer ces
derniers dans leur pays d’origine sans l’accord de leur gouvernement ? L’impératif
humanitaire commande de sauver les passagers venant de Libye au risque
d’encourager le trafic des passeurs. L’absence d’un pouvoir exerçant son
autorité sur l’ensemble du territoire ou même du littoral ne facilite pas la
conclusion d’un accord autorisant une intervention sous l’égide des Nations
Unies. Poutine considérant que Français et Anglais ont outrepassé naguère
l’autorisation qui leur avait été consentie, ne se montre guère consiliant. La
création d’un corps de garde-frontières en principe décidée n’évitera pas la
multiplication de drames humains qui n’ont pas fini d’interpeller la conscience
des Européens. Pas plus que la France, l’Europe ne peut soulager, toute la
misère du monde mais doit en prendre sa part suivant la formule de Michel
Rocard. L’explosion démographique d’une Afrique où les zones de décollage.
économique ne parviennent pas à l’emporter sur les zones de conflit constitue
un défi qui dépasse les capacités des Européens. A long terme, ce défi relève
du niveau mondial.
La
déception de Bratislava
Le 16
septembre s’est tenu dans la capitale de la Slovaquie, en charge de la
présidence semestrielle du Conseil, un sommet informel des Vingt-sept sans
participation du Royaume-Uni. Ceux qui espéraient une relance de nature à
rétablir la confiance dans l’avenir de l’UE après le choc du 23 juin auront été
déçus. Pour marquer son regret, Matteo Renzi a refusé de s’associer à la
conférence de presse commune des dirigeants allemand et français. La
préparation de cette réunion a été marquée par l’apparition de regroupements
animés davantage par la défense d'intérêts particuliers que par celui du
progrès de l’Union : Europe du Sud des déficits, Europe centrale opposée à
la répartition des réfugiés, Europe du Nord opposée à une union de transfert.
Le seul élément positif me parait être
l’apparition d’un débat sur la défense longtemps interdit par l’opposition de
Londres. Il n’est certes pas question d’une armée européenne qui supposerait
une diplomatie commune mais de la mise en œuvre de la « coopération
structurée » prévue par le traité de Lisbonne et pouvant réunir un nombre
limité de pays. La mise en place d’un état-major et le renforcement des
coopérations en matière d’armements sont envisagés. Le fait nouveau, outre le
Braxit, est l’évolution positive de l’attitude de l’Allemagne. Le souhait de la
France de voir l’Allemagne prendre une part des charges de sécurité et de défense
supposerait un partage de souveraineté qui n’est guère dans l’air du temps et
qui est remarquablement absent de la pré-campagne présidentielle.
Les doutes
persistent sur l’avenir de la monnaie unique
Les
divergences concernant la politique budgétaire ne se sont pas atténuées. Le
respect par la France de la règle des 3% est compromis par les promesses
électorales, l’Italie, dont les banques sont en difficulté, est menacée d’une
crise politique en cas d’échec du référendum constitutionnel de Renzi prévu fin
novembre, l’Espagne organise une troisième élection en un an ce qui laisse mal
augurer du redressement de ses finances, la Grèce attend la restructuration
d’une dette reconnue insupportable. L’indiscipline des pays du Sud nourrit le
refus de solidarité des pays du Nord. La pratique des taux d’intérêt négatifs
met en danger la profitabilité des banques sujettes par ailleurs aux amendes
gigantesques imposées par les Etats-Unis comme sanction à la crise des subprimes. L’obligation imposée à Apple
par la Commission européenne de payer
une somme de quelque douze milliards d’euros au titre des impôts dont elle a
été abusivement dispensée est un nouvel épisode de cette bataille
juridico-pénale autour des banques et, plus généralement des règlementations
publiques.
L’avenir
incertain des grandes négociations commerciales
L’échec de
la négociation mondiale dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce a
laissé place à une série de négociations bilatérales conduites par la
Commission, sous la responsabilité de Cecilia Malmström, en vertu de la
compétence exclusive de l’Union. Un accord avec le Canada (CETA) est en voie de
signature. Sa mise en application est prévue dès sa signature. Il sera ensuite
soumis à ratification par les parlements nationaux. Les Etats ont en effet
obtenu que cet accord soit considéré comme mixte, c’est-à-dire relevant de la
double compétence des Etats et de l’UE.
Le plus important de ces accords est en cours
de négociation avec les Etats-Unis. Connu sous le sigle anglais TAFTA ou TTIP,
il vise non seulement à éliminer l’essentiel des barrières douanières que les
négociations précédentes avaient laissé en place mais à harmoniser les
règlementations concernant la sécurité, la santé et l’environnement. Les principales
difficultés concernent les marchés publics et le règlement des différends que
les Européens souhaitent confier à des juges publics plutôt qu’à des arbitrages
privés. Ces accords suscitent une vive opposition, notamment en Allemagne.
Le vice-chancelier Sigmar Gabriel vient
d’obtenir l’accord du SPD pour la signature du CETA après avoir considéré comme
morte la négociation du TAFTA. Contrairement aux négociateurs des Etats-Unis,
les Canadiens ont accepté les demandes européennes relatives au règlement des
différends et aux marchés publics. La France semble adopter la même position .
Si l’on ajoute les réserves d’Hillary Clinton et la violente opposition de
Trump l’avenir du TAFTA parait sombre. Faut-il le regretter ? Le principal
intérêt que représenterait la création d’une zone de libre-échange
transatlantique serait d’imposer des règlements communs à l’échelle mondiale,
évitant ainsi dans le long terme que la Chine devenue la première puissance ne
parvienne à imposer les siennes que l’on peut supposer moins protectrices. A
contrario, les opposants redoutent que le TAFTA ne renforce, face aux Etats, la
puissance des firmes mondiales.
La bataille
de l’opinion
Force est
de constater que les « européens » ont perdu la bataille de
l’opinion. Les élites n’ont pas réussi à présenter la construction européenne
comme un grand dessein méritant engagement et enthousiasme. L’insuffisance des
résultats a rendu d’autant plus inaudible le discours de l’intégration que les
gouvernements n’ont rien fait pour donner une dimension populaire à l’Europe,
développer le sentiment d’appartenance à une communauté supranationale. Loin de
chercher à fonder dans l’âme des peuples la citoyenneté de l’Union, ils ont
utilisé celle-ci comme bouc émissaire en lui confiant les tâches impopulaires.
L’absence de politique de rechange, l’évidence de l’adage suivant lequel
l’union fait la force permet de ne pas renoncer à tout espoir.
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