Paris, 18 décembre 2010. Ce ne sont pas le refus franco-allemand d’utiliser la capacité d’emprunt de l’UE et plus encore le projet Cameron également soutenu dit-on par la France et l’Allemagne de bloquer le budget européen à son niveau actuel (moins de 1% du PIB) qui rendront sa crédibilité entamée à l’euro et à l’Europe. On cherche les hommes ou femmes d’Etat qui sauraient mettre à profit les difficultés actuelles pour proposer un nouveau pas en avant vers plus de discipline mais aussi plus de solidarité. Nul ne croit que la Grèce et l’Irlande pourront supporter le régime de cheval qui leur est administré et respecter leurs échéances. La persistance des incertitudes, la menace sur les autres pays endettés alimenteront les campagnes démagogiques proposant la solution de Gribouille : un éclatement de l’union monétaire qui, outre un appauvrissement massif des pays endettés, ruinerait les acquis inestimables de soixante ans de construction européenne.
On trouvera ci-dessous l’analyse de la crise qui m’a été demandée par la revue canadienne l’actualité fédérale à la suite de ma participation à un colloque commémorant l’appel de Robert Schuman.
Crise irlandaise, crise de l’euro, crise de l’Europe.
Les fédéralistes ont toujours affirmé que l’union monétaire européenne demeurerait fragile tant qu’elle ne prendrait pas appui sur une union politique. La crise actuelle en apporte une éclatante démonstration. Pour être durables, les solutions à la crise doivent marquer un renforcement concomitant de la discipline et de la solidarité au sein d’une union renforcée.
Les faiblesses d’une monnaie sans Etat
Après la crise grecque, celle que traverse l’Irlande est en fait le défi le plus grave auquel est confrontée la monnaie européenne depuis sa création. Les créateurs de l’euro avaient cru pallier l’absence d’un Etat et d’un budget fédéral par un « pacte de stabilité et de croissance ». Bien que le traité ait exclu tout renflouement d’un pays en difficulté, les marchés ont longtemps considéré que la zone euro constituait un tout. Tous les pays membres bénéficiaient de conditions de crédit avantageuses, proches de celles consenties à l’Allemagne. Certes des entorses au pacte auraient pu éveiller quelque soupçon : Italie et Belgique avaient été admises bien que leur endettement dépassât de loin la limite de 60% du PIB, les données statistiques venant de Grèce étaient douteuses, mais surtout les deux principaux pays de la zone, l’Allemagne et la France avaient obtenu en 2005 un assouplissement du pacte les exonérant de toute sanction financière pour déficit excessif.
Le climat d’inquiétude créé par la crise des crédits immobiliers américains contribua à dissiper les illusions concernant l’unité de la zone euro. La Grèce, dont le déficit budgétaire et l’endettement avaient été dissimulés, fut la première à susciter la méfiance de ses créanciers. La nécessité de lui venir en aide se heurta plusieurs mois durant à l’hostilité de l’Allemagne, bien que les banques allemandes eussent été les premières à souffrir d’un défaut grec. Ce temps d’attente imposé par la Chancelière Angela Merkel eut l’avantage de convaincre l’opinion grecque que le programme de rigueur qui lui était imposé était un moindre mal. Un accord associant le FMI intervint enfin dans la nuit du 10 mai 2010, mobilisant 750 millions d’euros. Le Fonds de stabilisation ainsi constitué empruntera sur les marchés en bénéficiant du triple A et prêtera à un taux plus élevé mais bien inférieur à celui qu’exigent des créanciers redoutant un défaut de remboursement.
L’Irlande allait être à l’automne la seconde cible de la méfiance des marchés. Son cas est différent de celui de la Grèce. Elle est le pays qui a tiré le plus de profit de son appartenance à l’UE, devenant en quelques années le plus riche, alors qu’elle en était jadis le plus pauvre. Son déficit gigantesque de plus de 30% du PIB s’explique par l’obligation où s’est trouvé le gouvernement irlandais de sauver des banques surdimensionnées et qui s’étaient livrées à une véritable orgie de crédits immobiliers. A la différence de la Grèce qui avait dû attendre pendant des mois le bon vouloir de l’Allemagne, le gouvernement de Dublin ne se résigna que péniblement à faire appel à une aide considérée par une large part de la population comme humiliante et attentatoire à la souveraineté nationale. En revanche, les partenaires de l’Irlande et les Autorités européennes souhaitaient une solution rapide afin d’éviter la contagion de méfiance qui menaçait de s’étendre au Portugal et à l’Espagne. L’accord intervenu fin novembre met l’Irlande à l’abri de la faillite. Le gouvernement irlandais s’est imposé un plan draconien d’économies comportant une baisse du salaire minimum et des allocations sociales mais s’est refusé, en dépit des pressions, à relever le taux de son impôt sur les bénéfices des sociétés qui, à 13,5%, lui a permis d’attirer nombre de firmes internationales, notamment américaines. Les plans d’assainissement grec et irlandais s’accompagnent de mesures sévères de restriction budgétaire dans la plupart des pays, y compris le Royaume-Uni qui ne fait pas partie de la zone euro mais qui participe cependant au sauvetage de l’Irlande.
Des progrès significatifs mais insuffisants
Le Fonds de stabilisation créé pour la Grèce et dont les interventions s’étendront à l’Irlande sera vraisemblablement pérennisé. La Banque centrale, dont le soutien aux banques en difficulté a joué un rôle décisif tout au long de la crise des crédits immobiliers, continue à intervenir pour assurer la liquidité des banques. La mise en place de trois agences de régulation, pour les marchés boursiers, pour les banques et pour les assurances et d’un comité de surveillance systémique auprès de la Banque centrale devrait réduire l’opacité des transactions et limiter la spéculation. Enfin une surveillance préventive des politiques budgétaires nationales s’appliquera dès 2011 dans la zone euro. Bien que ces mesures, dont certaines concernent l’ensemble de l’Union, représentent un progrès considérable, il n’est pas certain qu’elles apportent une solution durable à la crise, soit que l’Irlande et la Grèce ne puissent respecter les échéances de crédits assortis de taux d’intérêt relativement élevés, soit que la méfiance des marchés ne s’étende à d’autres pays. Les plans d’assainissement draconiens risquent de provoquer des troubles sociaux et politiques majeurs. La généralisation des politiques de rigueur menace l’économie européenne d’une longue période de stagnation. Enfin l’image de l’Europe est fortement détériorée à la fois auprès des débiteurs soumis à une cure d’austérité sans précédent et des principaux créditeurs, tout particulièrement allemands, irrités de payer pour l’imprévoyance de leurs partenaires. Le développement de l’euroscepticisme ne facilite évidemment pas la recherche de solutions coopératives par les gouvernements. Certains en viennent à prévoir l’éclatement de la zone euro, à tort car le coût pour tous, y compris l’Allemagne, serait inacceptable, sans parler de l’échec politique collectif qu’il signifierait pour les Européens.
Peut-on espérer un sursaut ?
Face au risque d’un prolongement, voire d’une extension de la crise, on peut souhaiter, sans trop y croire, qu’un sursaut se produise qui permettrait une sortie par le haut. Une déclaration en faveur d’un progrès concomitant de la solidarité et de la discipline rétablirait la crédibilité entamée de la zone euro. Les responsabilités de la crise sont partagées entre débiteurs imprudents et autorités européennes négligentes, Commission, Conseil et Banque centrale. Aussi serait-il justifié de consentir aux pays endettés des taux plus modérés et de plus longs délais pour le remboursement de leurs dettes, voire pour l’assainissement de leurs finances et le rétablissement de leur compétitivité. Transférer une part de l’endettement au niveau de l’UE aurait sans doute pour conséquence de faire baisser l’euro, ce qui serait un facteur favorable à la croissance et une réplique justifiée aux politiques de dumping monétaire pratiquées par la Chine et les Etats-Unis.
Enfin, pour compenser l’effet récessif des plans d’assainissement mais aussi pour donner une image plus positive de la politique européenne, conviendrait-il de mutualiser les moyens d’intervention en faveur des économies d’énergie, de la croissance verte, de l’innovation et de la recherche ainsi que de la lutte contre la pauvreté. Un budget fédéral alimenté par des ressources propres votées par le Parlement européen et complété par l’émission d’euro-obligations donnerait quelque chance au programme 2020 de ne pas connaître l’échec du décevant programme de Lisbonne. Les reproches qui sont adressés aux Allemands qui ont accompli de grands efforts pour mettre en ordre leurs finances lourdement affectées par le coût de la réunification sont contreproductifs et mal fondés. Cependant l’intérêt de l’Allemagne comme celui de ses partenaires est de préserver l’acquis politique, économique et humain que représente, au-delà de l’euro, l’Union européenne. Aussi n’est-il pas exclu que l’Allemagne, face à la menace d’un éclatement de l’euro, accepte un jour ce qui lui parait aujourd’hui inacceptable. Mais ses partenaires, notamment la France, devront comprendre que la solidarité ne saurait se limiter au domaine économique et monétaire. Seule une union politique d’inspiration fédérale pourrait assurer durablement l’avenir de l’euro.
21 décembre 2010
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1 commentaire:
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