07 janvier 2010

Identités

Saint-Raphaël 7 janvier
Ma retraite de quelques semaines dans le Sud m'a donné le loisir d'une réflexion sur nos identités multiples que je vous livre ci-dessous en espérant quelques échos, réactions, contestations et, pourquoi pas, approbations.

IDENTITE NATIONALE, IDENTITE EUROPEENNE
Notre identité signifie aussi bien ce que nous sommes que ce que nous souhaitons être : identité objective, identité volontariste. La première contient nos succès mais aussi nos revers, nos gloires mais aussi nos remords. La seconde nous projette dans l’avenir, nous incite à tirer les leçons du passé. Le grand dessein européen n’est rien d’autre qu’une audacieuse tentative de construire un avenir meilleur pour nous et pour les générations futures. Il peut s’analyser comme la recherche d’une identité à la fois correctrice et complémentaire de l’identité nationale, d’une identité construite et pas seulement héritée.
L’identité comme héritage
Tout comme notre identité nationale, notre identité européenne comprend des lumières et des ombres. D’Athènes nous vient le logos, de Rome nous vient le droit, de Jérusalem la transcendance. De ces trois sources nous viennent aussi l’esprit de domination et de conquête. Charlemagne fut un moment d’unité retrouvée avant le chaos féodal. Les cathédrales dessinent l’une des cartes de l’unité européenne, tout comme plus tard, la Renaissance, l’art baroque et l’esprit des Lumières, non sans que les guerres de religion, conflits interchrétiens d’une extrême violence, n’inscrivent une page noire dans notre héritage commun. La découverte des autres continents et bientôt leur conquête est une autre aventure collective dont les excès qui les ont accompagnées, esclavage et colonialisme, nous font hésiter à nous prévaloir et nous valent aujourd’hui encore quelques ressentiments dans nos empire défunts. Après l’optimisme scientiste du XIXème siècle, les horreurs et les crimes du premier XXème siècle seraient le pire élément de notre héritage collectif si nous n’en avions pas tiré les leçons. La répudiation des hégémonies, l’esprit de réconciliation sont, avec la protection des droits fondamentaux, la solidarité sociale, l’abolition de la torture et de la peine de mort des acquis que nous, Européens, partageons avec d’autres, mais dont nous pouvons nous flatter d’avoir été les promoteurs. Ultime élément d’une identité commune héritée, le chagrin d’avoir détruit par nos querelles nationalistes la position dominante qui fut longtemps la nôtre.
L’affirmation de cette nouvelle identité se heurte à deux résistances dont nous devons mesurer la vigueur pour mieux les combattre : la résistance compréhensible mais vaine des souverainetés nationales, la déception de celles et ceux qui attendaient plus de l’Union que ce qu’elle pouvait, dans son état d’inachèvement, leur apporter et qui ont vu en elle une menace plutôt qu’une protection.

L’identité comme projet
Une conception de l’identité nationale se limitant au culte de l’héritage, fût-il critique, serait bien incomplète. Toute communauté humaine vivante doit se projeter dans l’avenir. Hier, l’avenir, pour les nations européennes, était le progrès auquel elles accordaient une confiance excessive, mais aussi la conquête territoriale ou coloniale, la préparation de victoires rêvées. Après la catastrophe des deux derniers conflits mondiaux nés en Europe, la honte de la shoah, l’effondrement des idéologies totalitaires, le seul projet possible, le seul grand dessein est celui de la création sur ce continent, berceau du nationalisme, de la première expérience de mise en commun des souverainetés. Pour avoir trop longtemps limité l’entreprise à l’économie, pour n’en avoir pas suffisamment mis en exergue la dimension éthique et culturelle, pour n’y avoir pas associé la masse des citoyens, en particulier les jeunes et le monde de l’enseignement, la tentative d’inscrire le projet européen dans un texte constitutionnel fondateur a échoué. Le retrait des symboles du texte du traité de Lisbonne est lui-même symbolique de cet échec. On ne fera pas de progrès vers l’Europe politique sans la construction volontariste d’une identité européenne qui n’est encore qu’une virtualité. Cela passe par la reconnaissance de la révolution que représente le règlement des conflits entre nations par le droit et les juges, la création d’une institution vouée à la promotion de l’intérêt collectif, l’élection d’un Parlement commun partageant désormais le pouvoir législatif avec les représentants des Etats, enfin la création ex nihilo d’une monnaie unique qui vient de faire la preuve de sa solidité et de son rôle protecteur. Mais, si admirables soient ces accomplissements, le discours sur l’identité européenne ne sera crédible qu’à partir du moment où l’Union démontrera sa capacité à répondre aux aspirations fondamentales des peuples qu’elle réunit. Elle leur a apporté la paix et un niveau de sécurité économique, sociale et monétaire sans égal. Cela ne suffit pas. Il y faut ajouter une double action collective beaucoup plus visible et déterminée qu’elle ne l’est aujourd’hui : pour une sortie de crise fondée sur l’innovation, la formation et l’emploi, contre le terrorisme et toutes les formes de criminalité internationale.

La reconnaissance des identités multiples, élément d’une politique de civilisation.
Avant de proposer aux Français un débat sur leur identité nationale, le président de la République leur avait annoncé une politique de civilisation. Un lien entre ces deux concepts devrait s’imposer. Toute politique de civilisation passe nécessairement par le rejet d’une conception fermée, agressive, exclusive de l’identité nationale. Dénoncer les crimes commis au nom des nations n’est pas manquer de patriotisme, bien au contraire. Sans aller aussi loin que Montesquieu affirmant la primauté de l’intérêt collectif de l’humanité sur celui de son pays, de l’intérêt de son pays sur celui de sa province ou de sa cité, le moment est venu d’apprendre les pluralités d’identité et d’appartenance, d’en faire la base de toute formation civique adaptée au monde d’aujourd’hui. Ce n’est pas par hasard que le même Edgar Morin nous a engagé à « penser l’Europe » et nous a proposé « une politique de civilisation ».

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour ce billet toutefois je ressent plus de scepticisme envers ce "débat" auquel nous convie le pouvoir.

À mon sens le débat relève d'une tentative de redonner à l'idée de Nation une légitimité perdue pour maintenir un pouvoir exclusivement national bien loin d'une préoccupation européenne.

Par ailleurs qu'une identité collective soit pertinente dans la perspective de l'achèvement d'une démocratie européenne, sauf à lui donner un sens très large.

J'approuve complètement votre insistance sur la nécessité de reconnaitre les identités multiples mais ce n'est pas du tout ce vers quoi tend le gouvernement dans ce débat qui semble au contraire adopter une démarche de rejet envers une partie de nos concitoyens issus de l'immigration.

Quelques notes sur le sujet :

http://www.valeryxavierlentz.eu/index.php?post/Quelques-notes-sur-le-debat-sur-l-identite-nationale