27 janvier 2010

Pourquoi l'Europe apparait-elle impuissante?

Sarlat, 27 janvier.
Aux questions financières sur lesquelles j’avais annoncé que je reviendrai s’est ajoutée la querelle sur l’absence de Mme Ashton à Haïti. Il me semble que la présence du commissaire aux affaires humanitaires Karel de Gucht qui, à ma connaissance, s’est rendu sur place suffisait. En revanche, on regrette que l’opposition des Britanniques et des Allemands à la création d’un corps de défense civile un moment proposé par Michel Barnier n’ait pas été plus vigoureusement dénoncée et que la proposition ne soit pas reprise avec une énergie nouvelle.
Parmi les trois questions évoquées dans mon précédent message, celle de la réglementation des banques est devenue la plus urgente. La nouvelle posture d’Obama enlève aux Européens un prétexte à l’inaction – ne pas favoriser la concurrence des banques d’outre-atlantique – et devrait les obliger à harmoniser leurs positions naturellement divergentes. Ce devrait être le rôle d’une Commission responsable de placer les Etats devant leur responsabilité en faisant appel à l’appui du Parlement et à travers lui à l’opinion. Il appartient aussi à la Commission de déterminer les possibilités qu’offre en la matière le recours à la majorité qualifiée et, si nécessaire, aux coopérations renforcées. Tant que subsistera l’illusion de la coopération intergouvernementale comme substitut à la méthode communautaire, l’Europe continuera à donner le spectacle de son impuissance

22 janvier 2010

Retour aux questions de fond

Saint-Raphaël, 22 janvier.
Les difficultés financières de la Grèce, la sous-évaluation du yuan chinois et les décisions d’Obama relatives aux banques devraient obliger les institutions européennes à sortir d’un immobilisme que ne justifie pas le retard d’approbation de la nouvelle Commission par le Parlement après la longue période d’attente qui a précédé l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Je reviendrai sur chacun de ces points dans les prochains jours. Je note dès à présent le contraste entre la vigueur des décisions d’un président américain, souvent présenté comme velléitaire, et la lenteur désespérante des procédures européennes.

16 janvier 2010

Capitalisme, communise et mondialisme

St Raphaël, 16 janvier 2010
Les incroyables dérives du capitalisme financier ont rendu quelque vigueur aux avocats d’une société communiste. On a pu s’en apercevoir par les commentaires qui ont accompagné le décès de Daniel Bensaïd ou lors du débat organisé par Frédéric Taddéi sur FR3 autour du Slovène Slavoj Zizek. On pourrait croire que certains des plus puissants maîtres de la finance mondialisée se sont efforcés de donner des arguments à leurs pires ennemis. Je relève au moins trois phénomènes hautement condamnables même si leur caractère criminel n’est apparemment sanctionné par aucun de nos codes nationaux.
1. L’octroi de crédits immobiliers à des masses d’ emprunteurs pauvres à des conditions telles que le défaut de remboursement était certain dès le départ et la diffusion de ces créances pourries dans une bonne partie du système bancaire occidental, avec pour conséquence l’obligation faite aux Etats de venir au secours de banques devenues insolvables.
2. La pratique permettant aux grandes firmes d’échapper à l’impôt par un jeu de filiales établies dans des paradis fiscaux (tout comme les facilités d’évasion fiscale offertes aux vraies grandes fortunes), ce qui a pour résultat une inégalité devant les charges publiques dont le Conseil constitutionnel vient de rappeler l’illégalité à propos de la taxe carbone.
3. L’élargissement constant de l’échelle des rémunérations et la reprise obscène de la pratique des bonus bancaires, en dépit des admonestations du président des Etats-Unis.

Sorman et Glucksman qui étaient, dans l’émission de Taddéi, appelés à répondre au réquisitoire de Zizek ont évoqué, comme on pouvait s’y attendre les capacités d’adaptation d’un capitalisme démocratique et les dérives criminelles des expériences révolutionnaires impliquant le recours à la violence. Mais, ni l’un ni l’autre, ni la jeune universitaire socialiste qui était sur le plateau, n’a fait observer que le pouvoir financier était mondialisé mais non le pouvoir politique alors qu’aucune des dérives mises en cause n’est susceptible d’être durablement éliminée par des mesures se limitant au cadre national. Ce devrait être le rôle d’une Europe plus sûre d’elle-même de rappeler la nécessité d’une gouvernance mondiale du capitalisme. Le culte des souverainetés nationales est plus vivant que jamais, de Washington à Pékin et dans les capitales du Sud. Il n’en demeure pas moins le principal obstacle à tout progrès en direction d’un ordre mondial plus juste et donc plus sûr.

07 janvier 2010

Identités

Saint-Raphaël 7 janvier
Ma retraite de quelques semaines dans le Sud m'a donné le loisir d'une réflexion sur nos identités multiples que je vous livre ci-dessous en espérant quelques échos, réactions, contestations et, pourquoi pas, approbations.

IDENTITE NATIONALE, IDENTITE EUROPEENNE
Notre identité signifie aussi bien ce que nous sommes que ce que nous souhaitons être : identité objective, identité volontariste. La première contient nos succès mais aussi nos revers, nos gloires mais aussi nos remords. La seconde nous projette dans l’avenir, nous incite à tirer les leçons du passé. Le grand dessein européen n’est rien d’autre qu’une audacieuse tentative de construire un avenir meilleur pour nous et pour les générations futures. Il peut s’analyser comme la recherche d’une identité à la fois correctrice et complémentaire de l’identité nationale, d’une identité construite et pas seulement héritée.
L’identité comme héritage
Tout comme notre identité nationale, notre identité européenne comprend des lumières et des ombres. D’Athènes nous vient le logos, de Rome nous vient le droit, de Jérusalem la transcendance. De ces trois sources nous viennent aussi l’esprit de domination et de conquête. Charlemagne fut un moment d’unité retrouvée avant le chaos féodal. Les cathédrales dessinent l’une des cartes de l’unité européenne, tout comme plus tard, la Renaissance, l’art baroque et l’esprit des Lumières, non sans que les guerres de religion, conflits interchrétiens d’une extrême violence, n’inscrivent une page noire dans notre héritage commun. La découverte des autres continents et bientôt leur conquête est une autre aventure collective dont les excès qui les ont accompagnées, esclavage et colonialisme, nous font hésiter à nous prévaloir et nous valent aujourd’hui encore quelques ressentiments dans nos empire défunts. Après l’optimisme scientiste du XIXème siècle, les horreurs et les crimes du premier XXème siècle seraient le pire élément de notre héritage collectif si nous n’en avions pas tiré les leçons. La répudiation des hégémonies, l’esprit de réconciliation sont, avec la protection des droits fondamentaux, la solidarité sociale, l’abolition de la torture et de la peine de mort des acquis que nous, Européens, partageons avec d’autres, mais dont nous pouvons nous flatter d’avoir été les promoteurs. Ultime élément d’une identité commune héritée, le chagrin d’avoir détruit par nos querelles nationalistes la position dominante qui fut longtemps la nôtre.
L’affirmation de cette nouvelle identité se heurte à deux résistances dont nous devons mesurer la vigueur pour mieux les combattre : la résistance compréhensible mais vaine des souverainetés nationales, la déception de celles et ceux qui attendaient plus de l’Union que ce qu’elle pouvait, dans son état d’inachèvement, leur apporter et qui ont vu en elle une menace plutôt qu’une protection.

L’identité comme projet
Une conception de l’identité nationale se limitant au culte de l’héritage, fût-il critique, serait bien incomplète. Toute communauté humaine vivante doit se projeter dans l’avenir. Hier, l’avenir, pour les nations européennes, était le progrès auquel elles accordaient une confiance excessive, mais aussi la conquête territoriale ou coloniale, la préparation de victoires rêvées. Après la catastrophe des deux derniers conflits mondiaux nés en Europe, la honte de la shoah, l’effondrement des idéologies totalitaires, le seul projet possible, le seul grand dessein est celui de la création sur ce continent, berceau du nationalisme, de la première expérience de mise en commun des souverainetés. Pour avoir trop longtemps limité l’entreprise à l’économie, pour n’en avoir pas suffisamment mis en exergue la dimension éthique et culturelle, pour n’y avoir pas associé la masse des citoyens, en particulier les jeunes et le monde de l’enseignement, la tentative d’inscrire le projet européen dans un texte constitutionnel fondateur a échoué. Le retrait des symboles du texte du traité de Lisbonne est lui-même symbolique de cet échec. On ne fera pas de progrès vers l’Europe politique sans la construction volontariste d’une identité européenne qui n’est encore qu’une virtualité. Cela passe par la reconnaissance de la révolution que représente le règlement des conflits entre nations par le droit et les juges, la création d’une institution vouée à la promotion de l’intérêt collectif, l’élection d’un Parlement commun partageant désormais le pouvoir législatif avec les représentants des Etats, enfin la création ex nihilo d’une monnaie unique qui vient de faire la preuve de sa solidité et de son rôle protecteur. Mais, si admirables soient ces accomplissements, le discours sur l’identité européenne ne sera crédible qu’à partir du moment où l’Union démontrera sa capacité à répondre aux aspirations fondamentales des peuples qu’elle réunit. Elle leur a apporté la paix et un niveau de sécurité économique, sociale et monétaire sans égal. Cela ne suffit pas. Il y faut ajouter une double action collective beaucoup plus visible et déterminée qu’elle ne l’est aujourd’hui : pour une sortie de crise fondée sur l’innovation, la formation et l’emploi, contre le terrorisme et toutes les formes de criminalité internationale.

La reconnaissance des identités multiples, élément d’une politique de civilisation.
Avant de proposer aux Français un débat sur leur identité nationale, le président de la République leur avait annoncé une politique de civilisation. Un lien entre ces deux concepts devrait s’imposer. Toute politique de civilisation passe nécessairement par le rejet d’une conception fermée, agressive, exclusive de l’identité nationale. Dénoncer les crimes commis au nom des nations n’est pas manquer de patriotisme, bien au contraire. Sans aller aussi loin que Montesquieu affirmant la primauté de l’intérêt collectif de l’humanité sur celui de son pays, de l’intérêt de son pays sur celui de sa province ou de sa cité, le moment est venu d’apprendre les pluralités d’identité et d’appartenance, d’en faire la base de toute formation civique adaptée au monde d’aujourd’hui. Ce n’est pas par hasard que le même Edgar Morin nous a engagé à « penser l’Europe » et nous a proposé « une politique de civilisation ».

02 janvier 2010

Mes voeux pour 2010

Paris, 1er janvier 2010

Parmi les multiples vœux que je suis tenté de former Blog 2010
pour notre Europe j’en retiendrai six :
1. Un plan européen d’accompagnement de la reprise fondé sur une intégration des politiques nationales d’aide à la recherche et à l’innovation.
2. Un renforcement significatif des moyens affectés à la reconversion des salariés ayant perdu leur emploi.
3. La mise en place d’une réglementation des activités bancaires de nature à empêcher le renouvellement des pratiques qui ont été à l’origine de la crise.
4. La définition d’une stratégie commune en Afghanistan en vue d’un dialogue euro- américain plus équilibré.
5. La reprise des négociations sur le climat sur la base d’un accord confirmé entre Européens
6. Un accord entre Van Rompuy et Barroso pour mettre un coup d’arrêt à la dérive intergouvernementale qui condamne l’UE à l’impuissance.

J’ adresse en même temps mes meilleurs vœux à mes lecteurs