14 juin 2007

Les enjeux du Conseil européen des 21 et 22 juin

Platier 14 juin 07

Relance ou approfondissement de la crise européenne ? Pas plus que la campagne présidentielle, celle des législatives n’aura éclairé nos compatriotes sur les enjeux du Conseil européen des 21 et 22 juin. L’intention de la présidence allemande est, au prix de concessions formelles, de régler l’ensemble des questions pendantes en préservant l’essentiel des réformes contenues dans le traité constitutionnel. L’abandon du terme « constitution » semble acquis ainsi que tout ce qui, selon certains pourraient donner à l’Union la stature d’un Etat. Cet argument aurait pour effet d’éliminer du futur traité toute référence symbolique, qu’il s’agisse du drapeau aux douze étoiles, de l’hymne à la joie ou de la devise « unis dans la diversité ». Daniel Cohn-Bendit, avec la gouaille qu’on lui connaît, a dénoncé le caractère ridicule et dérisoire de ces exigences, heureusement démenties par l’apparition de l’étendard européen dans la photo officielle du nouveau président de la République.
Contrairement à beaucoup de commentaires inspirés, les désaccords demeurent nombreux et pas seulement du côté de la Pologne : domaine du vote majoritaire, répartition des voix au sein du Conseil des ministres, statut de la charte des droits fondamentaux, personnalité juridique de l’Union, primauté du droit communautaire, titre et statut du ministre des Affaires étrangères, composition de la Commission, droits des parlements nationaux, détermination de critères pour les futures adhésions.

Les Britanniques refusent l’extension du vote majoritaire aux affaires de justice et de police, vivement contestée par les Tories et la presse populaire, Cette extension est la condition d’une lutte efficace contre la criminalité internationale qui répond à une attente des citoyens.
Les Polonais refusent la règle de la double majorité des voix (55% des Etats, 65% de la population pour les décisions du Conseil prises à la majorité qualifiée). A défaut du système de Nice qui leur donnait, comme aux Espagnols, un nombre de voix proche de celui des pays les plus peuplés, ils proposent une formule intermédiaire (la racine carrée des populations) qui n’est pas absurde mais qui présenterait l’inconvénient de remettre en cause l’équilibre d’ensemble.
Les Britanniques redoutent que l’octroi d’une valeur juridique contraignante à la Charte des droits fondamentaux ne conduise à une remise en cause des limitations imposées par Margaret Thatcher aux prérogatives des syndicats auxquelles Tony Blair s’est bien gardé de toucher. Ils invoquent aussi, avec quelques autres, le caractère symbolique de la Charte qui évoquerait un Etat, oubliant que l’ONU et le Conseil de l’Europe ont leurs propres Déclarations des droits humains fondamentaux. L’hypothèse d’une dérogation accordée au seul Royaume-Uni est envisagée. Elle n’aurait guère de portée pratique mais le symbole serait cruel pour Londres.
Le refus de la personnalité juridique de l’Union appellerait, s’il devait subsister, la création d’une Europe à deux niveaux, celui d’une union politique et celui d’une zone d’échanges. De même celui de la primauté du droit communautaire ébranlerait ce qu’il y a de plus solide dans l’acquis communautaire. Un tel recul est impensable. Renoncer à une affirmation explicite de ce principe dans le traité laisserait intacte la jurisprudence de la Cour de Justice.
Les considérations de forme et de fonds se mêlent concernant le titre et les attributions du ministre des Affaires étrangères qui, selon le traité constitutionnel, devait être rattaché à la fois au Conseil et à la Commission dont il devait devenir l’un des vice-présidents. Certains Etats vont jusqu’à contester la notion même de politique étrangère de l’Union. Cette position, si elle devait être maintenue, devrait les exclure d’une éventuelle union politique. Une fois de plus, le compromis pourrait consister à sacrifier la forme pour sauver le fond, renoncer au titre de ministre en conservant sa fonction, son double rattachement et la mise à sa disposition d’un service diplomatique.
A toutes ces difficultés s’en ajoutent deux autres soulevées par les Pays-Bas, jadis fédéralistes et convertis à un certain souverainisme depuis leur referendum. Ils exigent des critères explicites pour l’adhésion de nouveaux membres, ce qui ne devrait pas soulever de difficultés considérables, sinon de la part de leurs amis britanniques hostiles à tout ce qui pourrait entraver ou ralentir l’élargissement de l’Union. Plus discutable est leur demande d’un droit de veto des parlements nationaux sur les initiatives de la Commission.

Le Parlement européen a adopté début juin, à une très forte majorité, une résolution de sa commission constitutionnelle en faveur du maintien des avancées contenues dans le traité constitutionnel tout en acceptant des assouplissements de forme. Un avis négatif sur un traité simplifié qui s’éloignerait trop de cette exigence rendrait sa ratification problématique dans plusieurs pays, à commencer par l’Italie de Romano Prodi. L’ancien président de la Commission a récemment multiplié les mises en garde menaçant les minimalistes de cette Europe à deux niveaux qu’ils rejettent tout en la rendant inévitable.
En outre, la résolution du Parlement « reconnaît la nécessité de tenir compte de questions essentielles qui ont été soulevées pendant la période de réflexion et de clarifier d’autres questions déjà abordées dans le traité constitutionnel ». Sont notamment mentionnés à ce titre la lutte contre le changement climatique, la solidarité dans le domaine de l’énergie qui intéresse tout spécialement la Pologne, la politique de migration, la coordination des politiques dans la zone euro. Le Parlement semble souhaiter que des dispositions nouvelles soient introduites sur ces différents points. C’est la thèse dite du « traité plus » qui donnerait une impulsion aux politiques communes et compenserait en quelque sorte les reculs symboliques.

La menace d’une cassure de l’Union entre ceux qui veulent aller de l’avant et les autres est sans doute la meilleure arme dont dispose Angela Merkel pour convaincre les récalcitrants. On voit mal Tony Blair terminer sa carrière de Premier Ministre par un nouvel isolement du Royaume-Uni et les frères Kaczynski ignorer le sentiment désormais très europhile du peuple polonais. Reste la France dont le nouveau président aura contribué avec détermination à la recherche d’un accord mais au prix de l’abandon de toute perspective constituante à plus long terme. Il faut saluer l’appel lancé par le collectif « Sauvons l’Europe » en faveur d’une sauvegarde des avancées du traité constitutionnel. En définitive, le vote du 29 mai 2005 aura fait reculer les chances d’un rééquilibrage de la construction européenne vers plus de volontarisme politique et social.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
j'ai découvert votre blog suite à une critique de votre dernier ouvrage que je ne manquerai pas d'acheter. Je vous remercie pour votre engagement et suivrai votre blog régulièrement dorénavant. Franco-allemand de naissance et ayant vécu dans les deux pays pour finalement "attérir" à Bruxelles, je suis pro-européen viscéral et suis complètement déprimé depuis les "non" français et neerlandais. Une Europe à plusieurs vitesses, s'il le faut avec un noyeau dur excluant la France, me parraît aujourd'hui le seul espoir d'une relance. Je lis depuis peu un ouvrage sur la première guerre mondiale et j'ai froid dans le dos...

Anonyme a dit…

Bonjour,
J'ai aussi découvert votre blog grâce à une critique de votre ouvrage dans le Monde, critique qui semble-t-il expose une thèse sévère de votre part vis à vis du Président Mitterrand qui aurait raté la chance d'une Europe politique souhaitée par les Allemands.
Je souhaiterais discuter plus en détail de ceci.
Vous pouvez si vous le voulez bien me contacter sur mon mail (mitterrand.2007@googlemail.com), je serais heureux de vous interviewer par exemple sur ces sujets.
Bien cordialement,

L'auteur du blog http://mitterrand.2007.over-blog.com/