Paris 4 avril 07
Le débat sur l'identité nationale me conduit à livrer aux lecteurs de ce blog qui ne les auraient pas encore lus des extraits du chapitre de mon livre "Aimer l'Europe" intitulé "Définir et promouvoir l'identité européenne".
Existe-t-il une identité européenne ?
La conscience d’un destin commun n’a pas encore donné naissance à un sentiment d’allégeance. La question de l’identité européenne n’est pas simple. S’agit-il d’une identité de culture ou de civilisation ? A supposer qu’elle existe, peut-elle servir de support à une construction politique ? Qui sommes-nous ? Qu’avons-nous en commun ?
Nous sommes des nations petites et moyennes, certaines ayant à un moment occupé le premier rang, aucune ne pouvant prétendre au salut individuel et moins encore à l’hégémonie. Nous sommes des peuples libres, mais tous, à l’exception de la Grande-Bretagne, libérés par autrui. Les pires tyrannies de l’Histoire sont nées sur notre continent. Deux catastrophes provoquées par nous-mêmes, volonté de puissance des uns, lâcheté des autres, égoïsme et aveuglement de tous, nous ont fait perdre le rang privilégié que nos talents nous avaient acquis. Nous sommes d’anciennes puissances coloniales, longtemps engoncées dans leur bonne conscience civilisatrice, surprises et humiliées par la révolte de nos anciens protégés et par les conditions, le plus souvent désastreuses, de nos départs précipités d’Afrique et d’Asie.
Nous sommes des peuples prospères dans l’ensemble et par comparaison avec bien d’autres. Nous avons su organiser sur les ruines de l’après-guerre des démocraties peu à peu stabilisées. Encouragés et aidés par le grand frère d’outre-atlantique, nous avons reconstruit ensemble nos économies et avons eu la surprenante intelligence de renforcer notre solidarité au sein d’institutions communautaires auxquelles ont successivement adhéré, dès qu’ils en ont eu la liberté, la plupart des pays du continent. Nous avons ainsi puissamment contribué à l’enracinement de la démocratie dans des pays longtemps soumis à des dictatures militaires ou au totalitarisme soviétique.
Après avoir mis le feu au monde, il appartenait aux Européens de donner l’exemple de l’apaisement, de la réconciliation, de la transformation en profondeur de leurs relations d’Etat à Etat, de peuple à peuple. C’est leur honneur de l’avoir fait, c’est leur malheur de n’avoir pas terminé leur ouvrage. Ils ne le termineront pas tant qu’ils ne seront pas parvenus à savoir en quoi ils sont différents, non certes meilleurs mais différents, voués à un destin commun et porteurs d’un message universel. Alors l’Europe pourra se doter de cette grande politique d’identité ouverte et de citoyenneté partagée qui lui fait aujourd’hui cruellement défaut.
En quoi les Européens sont-ils différents ?
Posséder une identité, c’est se distinguer. En quoi l’Europe se distingue-t-elle de l’Occident dont elle a longtemps constitué le foyer central et rayonnant ? Certainement pas par les trois sources communes à l’ensemble des Occidentaux. D’Athènes, nous vient l’harmonie, la rationalité, la science ; de Jérusalem, la subjectivité, la conscience, la morale ; de Rome, la loi et l’Etat. A cette triade chère à Valéry, on peut, avec Denis de Rougemont ajouter l’apport du christianisme qui, paradoxalement, en séparant le spirituel du temporel, fonde la laïcité et celui des Lumières à qui nous devons la tolérance religieuse et la liberté politique. On ne doit pas non plus négliger le vieux fond celte, germanique et slave, ainsi que le maillon arabe par lequel nous est parvenu l’essentiel de l’héritage grec.
En rappelant ces sources de notre civilisation dans une conférence prononcée devant l’association européenne des enseignants, Tsevan Todorov mettait en garde ses auditeurs contre la tentation de définir notre identité par écrémage, en ne retenant que ce qui nous sied. Chaque élément positif a son revers sombre. Violence et domination font partie de notre héritage, bien plus que liberté et tolérance. Cette lucidité sur notre passé, à commencer par le plus proche, est le premier trait qui nous distingue. Conscient des crimes commis en notre nom, la bonne conscience de nos devanciers nous surprend. Par compensation, il nous arrive de nous complaire dans l’auto - flagellation. La distance qui sépare des Etats-Unis une Europe prudente et sceptique, inclinant à la repentance, répugnant à l’usage de la violence et se faisant un emblème de l’abolition de la peine de mort saute aux yeux. Nous en flatter serait excessif car notre prudence ne va pas sans faiblesse et se satisfait de compter sur la puissance américaine. Mais nous devons être conscients de ce trait de notre personnalité collective pour en corriger les excès et en tirer le meilleur parti.
Une charte des droits fondamentaux a été élaborée par une première « convention » composée de représentants des Parlements nationaux et du Parlement européen présidée par un ancien président de la République fédérale d’Allemagne, Roman Herzog. Cet exercice, parfaitement réussi, contrairement à beaucoup de pronostics, a confirmé l’existence d’un accord entre les peuples de l’Union sur des valeurs communes définies en six titres : dignité, libertés, égalité, solidarité, citoyenneté, justice. Ces valeurs constituent le socle de l’identité européenne moderne. Cette Charte a été proclamée en décembre 2002, lors du sommet de Nice. Elle devait constituer le deuxième chapitre de la Constitution européenne, ce qui lui aurait donné une valeur juridique incontestable. Dès à présent, la jurisprudence de la Cour de Justice s’en inspire. Il s’agit du texte le plus ambitieux dédié à la protection des droits humains qui va bien au-delà des garanties offertes par les constitutions nationales. On peut citer l’interdiction de toutes les discriminations, le droit de manifester sa religion ou d’en changer, le droit à une bonne administration, à des tribunaux impartiaux, à la protection de la santé, de l’environnement et des consommateurs. Le modèle social européen est conforté dans plusieurs domaines auxquels les Français sont particulièrement attachés : la garantie des services d’intérêt général, la protection contre les licenciements injustifiés, le dialogue social, la lutte contre l’exclusion et la grande pauvreté.
Pluri - appartenance et diversité
Deux autres caractéristiques des Européens, la pluri - appartenance et la diversité sont,pour leur projet d’union, tout à la fois un redoutable obstacle et une chance exceptionnelle.
Chaque être humain relève d’identités multiples, celle de son sexe, de son âge, de sa profession, de sa ville, de sa région, de ses croyances, de sa nation, de sa langue, voire de ses habitudes alimentaires. La rivalité des nations européennes les a conduites à privilégier l’identité nationale sur toutes les autres. Lorsqu’elles se décidèrent à exorciser les vieux démons pour construire ensemble une « communauté », elles négligèrent l’effort nécessaire pour édifier une forte identité européenne, non pas comme abolition mais comme complément des autres. L’apprentissage de la pluri - appartenance devrait être le fondement de l’instruction civique en Europe. Ce serait le meilleur moyen de combattre les passions identitaires toujours prêtes à renaître, en particulier dans les régions qui ont été, plus que d’autres, victimes des rouleaux compresseurs et uniformisateurs nationaux.
Faute d’avoir développé ce thème populaire de la résistance à l’uniformisation, les Européens ont laissé leurs adversaires s’en emparer. Que n’avons-nous entendu sur le thème de la volonté centralisatrice et uniformisatrice des « technocrates de Bruxelles » ? En qualifiant ainsi l’autorité mise en cause, on se dispensait de s’interroger sur l’origine des décisions contestées.
Européisme et patriotisme
L’Europe doit résister à tout ce qui pourrait donner le sentiment d’une substitution. Opposer européisme et patriotisme est aussi absurde que mettre en concurrence l’affection d’un enfant pour ses parents et ses grands parents. La citoyenneté européenne ne peut se distinguer de la citoyenneté nationale dont elle est un complément suivant les termes même des traités. Aussi est-ce à tort que l’Europe est parfois accusée d’encourager les tendances sécessionnistes qui se manifestent ici et là. Les Etats ne sont pas près de s’effacer. Leur participation à la construction européenne les a plutôt renforcés, ne serait-ce qu’en les dotant d’une monnaie qui les protège contre les assauts de la spéculation que plusieurs d’entre eux, dont la France, subissaient périodiquement.
L’affirmation, au cours de la campagne des élections présidentielles de 2007 d’une identité nationale hégémonique, séparée des identités européenne et régionale, d’une mono – identité marque une dangereuse dérive. Au lieu d’encourager à l’ouverture, à la tolérance, au respect des diversités, elle risque de faire renaître un nationalisme à l’ancienne, source principale des catastrophes du XXème siècle. Les identités diverses ne se contrarient pas mais se confortent. Un bon citoyen se sent citoyen de sa commune, de sa région, de son pays, de l’Europe et du monde. Il peut privilégier telle ou telle de ces allégeances mais non ignorer les autres. Etre patriote aujourd’hui, c’est aussi être européen.
Eloge de la diversité, les frontières de l’Europe
Source incontestable de faiblesse, l’accumulation sur un aussi petit espace d’un si grand nombre de peuples différents est un trait essentiel de l’identité européenne qui doit être valorisé. Il constitue un élément essentiel de la qualité de vie des Européens qui n’ont pas besoin de franchir les océans pour se dépayser. Préserver la diversité européenne est un objectif essentiel de l’Union. Telle est la signification de la devise proposée par la Convention « Unie dans la diversité ». C’est cette diversité qui permet aux Européens de comprendre, mieux que d’autres, la complexité du monde. Encore faut-il qu’elle n’affaiblisse pas le sentiment « d’un destin désormais partagé » suivant la belle formule du traité de Rome.
Faute d’être d’avoir été précédé de l’approfondissement annoncé, le dernier élargissement de l’Union a donné à l’opinion l’impression d’un processus mal maîtrisé qui ne pouvait être ni expliqué, ni célébré. La peur de la concurrence des bas salaires de l’Est, cyniquement exploitée par les adversaires du traité constitutionnel, a été pour beaucoup dans l’échec du referendum, de même que les craintes soulevées par la candidature turque. Celle-ci mais aussi l’évolution de l’Ukraine et les aspirations européennes de nombreux pays issus de l’Union soviétique, de la Moldavie aux républiques du Caucase posent le problème des frontières ultimes de l’Union.
La fixation de ces frontières est une exigence forte de l’opinion, notamment en France. En dépit des apparences, prétendre fixer aujourd’hui les limites ultimes de l’Union serait une erreur politique majeure qui aurait beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages. Les pays exclus, y compris ceux qui, comme la Russie, ne sont pas candidats, ressentiraient leur exclusion comme un affront. La seule exclusion possible est celle des pays dont aucune partie du territoire ne se situe sur le continent européen. C’est ce motif qui a conduit à écarter, sans drames, la candidature du Maroc. En l’absence de limites naturelles à l’est, les frontières de l’Union sont appelées à évoluer en fonction de ce qu’elle deviendra et de ce que deviendront ses voisins. Aucun traité, aucune constitution ne sauraient lier la volonté des générations futures. Les querelles passionnées à propos de la Turquie ont trait à une éventualité incertaine et lointaine. Elles s’expliquent par le caractère particulier de ce pays à cheval sur deux continents et deux cultures. L’ouverture de négociations d’adhésion alors que la Turquie est loin de satisfaire aux critères définis à Copenhague et ne reconnaît pas l’un des Etats membres n’est guère justifiable. En revanche, il faut reconnaître qu’une adhésion de ce pays aux principes de l’Union et à ses structures, si elle s’avérait possible, constituerait un atout de premier ordre dans la confrontation durable imposée à l’Europe par la vague islamiste qui déferle sur le monde arabo - musulman.
Un cadre de vie exceptionnel
La protection d’un cadre de vie façonné par les siècles est un autre élément capital de l’identité européenne. L’Europe peut se flatter de la contribution que ses politiques ont apportée à la sauvegarde d’un environnement menacé par l’urbanisation et l’évolution des techniques. La politique agricole, malgré ses imperfections, a contribué au maintien de la vie dans des zones qui, sans son appui, auraient été désertifiées. Il reste à accentuer l’infléchissement en direction d’un soutien à la ruralité et à moduler davantage les aides en faveur des formes d’agriculture respectueuses de l’environnement et des paysages. L’Europe a aussi contribué, au moyen de ses fonds structurels, à la rénovation des quartiers anciens de tant de villes, qui sont autant de joyaux d’un patrimoine à la fois commun et divers. Les statistiques du produit national situent l’Europe bien en arrière des Etats-Unis. Il n’en est pas de même pour ce qui est du « développement humain » qui fait l’objet de comparaisons internationales prenant en compte une large batterie d’indices parmi lesquels le niveau d’enseignement, la qualité et l’accessibilité des services de santé, la mortalité post-natale et la longévité. La qualité de la vie en Europe devrait être un motif de fierté pour les Européens, même si bien des progrès sont encore à faire.
Un destin commun, un message universel
L’élément fondamental d’identité commune que créait la guerre froide a disparu. Ce fut un succès de l’Europe obtenu sans autre effort que celui de ses accomplissements pacifiques. La comparaison des succès de l’intégration libre à l’Ouest avec l’échec de l’intégration forcée à l’Est fut, de l’aveu même de Gorbatchev, un facteur de découragement pour la direction soviétique. Nous verrons au chapitre VIII comment une Europe qui aurait réussi son unité pourrait contribuer à un ordre mondial qui en soit un. Retenons pour le moment cette formule du président de la Commission, José Durâo Barroso : nous construisons un empire non impérial. Cet empire qui ne s’étend pas par la force ou l’influence hégémonique, mais par la libre adhésion, pourrait, à plus juste titre que les Etats-Unis, revendiquer « une destinée manifeste », celle de répandre la démocratie et l’état de droit par la persuasion et l’exemple plutôt que par la violence.
L’intervention militaire américaine en Irak a fait apparaître des divisions qui interdisent à l’Union d’exercer sur la scène internationale une influence en rapport avec sa dimension. Cependant les opinions publiques ont réagi de manière plus convergente que les gouvernements. Les difficultés rencontrées par les Etats-Unis, le contraste entre l’efficacité de leurs armes et le fiasco de leur administration a facilité le rapprochement des positions. Mais, en l’absence de mécanismes appropriés, ceux-là même qu’avait prévus le projet de constitution, il est vain d’espérer une unité de vue immédiate sur les diverses crises qui secouent la planète. Un effort patient et prolongé de rapprochement sera nécessaire. Un président de l’Union déchargé de fonctions nationales, assisté d’un ministre des Affaires étrangères y contribuerait. L’Union exerce déjà un soft power qui est loin d’être négligeable. Il se manifeste à l’Organisation Mondiale du Commerce, où elle s’exprime d’une seule voix, dans le domaine de l’écologie, grâce au protocole de Kyoto, dans les Balkans où elle pacifie peu à peu la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine et le Kosovo, en Afrique où elle défend les droits humains et les élections libres, tout en luttant contre la corruption. Aller plus loin suppose un accord explicite sur ce qu’est l’Union et sur son avenir.
Le débat nécessaire sur les finalités de l’Union
Le débat sur les finalités de l’Union ne devrait pas se limiter aux gouvernements. Les Parlements nationaux et européen devraient y être associés, par exemple au sein d’une nouvelle convention dont les débats seraient aussi largement diffusés que possible. Loin de se limiter aux institutions, ces débats devraient porter sur la répartition des compétences entre l’Union et les Etats, de manière à expliciter, mieux que ne l’avait fait le traité constitutionnel, la marge d’action qui doit demeurer à ceux-ci, en particulier pour tout ce qui touche à la protection sociale et à l’emploi. Il devrait porter également sur les mesures à prendre pour faire pénétrer le concept d’appartenance à l’Europe dans la conscience des citoyens. Trois catégories de mesures pourraient être prévues à cette fin : institutionnelles, éducatives, symboliques.
Mettre les institutions au service de l’identité
Une première question se pose, souvent débattue dans les colloques, plus rarement entre responsables gouvernementaux : quelle est la finalité institutionnelle du projet européen, un Etat fédéral, une fédération d’Etats et de peuples, une association d’Etats souverains ? On comprend que les gouvernements ne souhaitent pas poser une question aussi embarrassante, car propre à leur valoir des querelles entre eux mais aussi dans chacun de leurs pays et souvent au sein même des majorités politiques dont ils émanent. La Convention chargée de réfléchir à l’avenir de l’Union s’en était elle-même gardée. Sans doute avait-elle jugé qu’il n’était pas indispensable de qualifier l’aboutissement d’un processus qui, pour certains, était loin d’être arrivé à son terme, alors que d’autres estimaient qu’il avait déjà dépassé le stade acceptable ? Il n’en est pas moins de plus en plus difficile d’obtenir le soutien des peuples pour un voyage dont ils ignorent la destination. Jacques Delors a cru pouvoir résoudre le problème par le recours à ce que certains ont qualifié d’oxymore, figure de rhétorique exprimant une contradiction. La fédération d’Etats - nations de Delors rappellerait l’obscure clarté qui tombe des étoiles. Plusieurs des Etats membres actuels, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Belgique sont composés de plusieurs nations. L’appellation « fédération d’Etats et de citoyens » répond mieux à la nature présente et à venir d’une Union qui n’a pas de précédent historique et donc pas de modèle
La réponse décisive qu’appellent les objections des souverainistes est autre. Une Union fédérale d’Etats et de citoyens ne sera pas la transposition des systèmes fédéraux existants. Les gouvernements des Etats membres continueront à prendre une part active à la définition et à la mise en œuvre de la politique de l’Union. Mais ils devront accepter, pour des raisons de démocratie et d’efficacité, de siéger sous l’autorité d’un président de l’Union, de prendre l’essentiel des décisions à travers la recherche d’un consensus, mais, si besoin est, à la majorité et d’en confier la mise en œuvre à des ministres de l’Union. De même, les parlements nationaux participeront au contrôle de la subsidiarité et devront participer, avec le Parlement européen, à la définition de la politique générale de l’Union.
La formation des futurs citoyens européens
L’école de Jules Ferry a donné des citoyens à la République. La formation des futurs citoyens européens doit commencer à l’école. L’essentiel n’est pas d’ennuyer les enfants avec l’ingrate description des institutions mais de leur transmettre les valeurs universelles que l’Europe s’efforce de promouvoir chez elle, autour d’elle et dans le monde. Il ne s’agit pas, comme pourraient le craindre certains enseignants, de développer une propagande en faveur de la politique européenne, mais de transmettre un héritage. Il s’agit aussi de favoriser l’esprit d’ouverture à la différence, de lutter contre tous les penchants identitaires, source d’intolérance et d’exclusion. Le champ des possibilités offertes par la coopération des systèmes nationaux d’enseignement est immense, comme l’a montré l’excellent petit ouvrage de Christine de Mazières et Babette Nieder. [1] L’apprentissage de deux langues au-delà de la langue maternelle devrait être un objectif commun pour tous les enfants d’Europe. Les échanges d’enseignants devraient être la règle à tous les niveaux, de façon que l’enseignement des langues et celui d’autres matières puisse être confié à des enseignants d’un autre pays. L’un des mérites des deux auteures est d’avoir montré comment tout cela pouvait être réalisé au meilleur coût. Enfin, la reconnaissance de pôles d’excellence universitaires devrait se traduire par l’internationalisation des meilleures Universités et grandes écoles et leur participation à l’effort commun de recherche dont la nécessité est unanimement reconnue. Sans remettre en cause la compétence des Etats et, dans certains pays, de collectivités autonomes, l’Union pourrait développer une politique de soutien aux Universités non labellisées pôles d’excellence, afin de leur permettre de s’améliorer et de s’internationaliser.
L’influence de plus en plus dominante de la télévision ne peut être ignorée de qui se préoccupe de la formation à la citoyenneté. L’ouverture d’un espace public de débat démocratique passe par la télévision qui se devrait d’organiser plus souvent et à des heures moins tardives la confrontation des idées entre responsables des différents pays. L’audience obtenue par la diffusion de la séance des questions au gouvernement par la chaîne publique FR III montre qu’une fraction de téléspectateurs pourrait être intéressée par la diffusion de débats entre personnalités européennes sur des sujets d’actualité. De telles émissions pourraient servir de support à un enseignement civique modernisé.
Les programmes d’échanges de jeunes dont le plus connu est Erasmus ont recueilli un vif succès. Leur extension s’impose, mais l’expérience a montré qu’ils ne suffisent pas à dissiper l’euroscepticisme de nombreux jeunes. C’est pourquoi le départ des bénéficiaires devrait être précédé d’une initiation aux valeurs européennes fondamentales.
L’Europe et les symboles
Il est temps de faire du 9 mai, anniversaire de la déclaration fondatrice de Robert Schuman, un jour férié commun à tous les Etats membres au cours duquel seraient exaltés les sentiments de solidarité entre peuples européens, de fierté pour le travail de réconciliation accompli et de soutien aux valeurs universelles qui sont celles de l’Europe. Quand Valéry Giscard d’Estaing avait souhaité remplacer le 8 mai, anniversaire de la victoire de 1945, par le 9, il s’était heurté à une vive résistance. Aussi serait-il judicieux de laisser les Etats qui le souhaiteraient maintenir la célébration de la victoire, quitte à associer celle-ci, qui fut une libération, à la fête de l’Europe, que celle-ci soit célébrée le 8 ou le 9. Sans le 8, le 9 n’était pas possible. Célébrer conjointement la libération de l’Europe et le début de son union serait hautement symbolique. Une compétition pourrait être organisée entre les Etats membres sur le thème de la célébration la mieux réussie, à la fois la plus populaire et la plus illustrative des valeurs européennes.
Une occasion d’identifier l’Europe à travers ses héros a été manquée lorsque les responsables politiques ont laissé aux experts le soin de concevoir les nouveaux billets libellés en euros. Pour s’épargner la difficulté du choix, les experts ont décidé de recourir à des images abstraites de ponts ou de portes censés évoquer les liens entre les Européens et leur ouverture à eux-mêmes et aux autres. Les eurosceptiques ont aussitôt vu dans ce choix l’illustration du caractère technocratique de l’Union. Qu’attend le Parlement européen pour dresser la liste des grandes personnalités, hommes ou femmes d’Etat, écrivains, artistes appelés à figurer, à tour de rôle, sur les nouveaux billets qui devront un jour ou l’autre remplacer ceux d’aujourd’hui ?
La meilleure manière de développer un sentiment d’allégeance dans les populations serait la création de services communs appelés à manifester la solidarité européenne. La création du fonds destiné à faire face aux conséquences sociales des délocalisations contribuerait à montrer à quoi peut servir l’Europe, à la condition d’être suffisamment doté et que ses interventions soient rapides, efficaces et visibles. Le projet de force d’intervention destinée à faire face aux catastrophes en Europe et hors d’Europe aurait à la fois le mérite de rendre les interventions plus efficaces et de symboliser l’Europe. Une force maritime commune destinée à la prévention des marées noires et autres catastrophes maritimes, une agence unifiée de gestion de l’espace aérien, un service intégré de surveillance des frontières, une agence d’alerte sanitaire sont quelques exemples de services communs qui devraient permettre un meilleur rapport coût - efficacité et rendre plus visible l’Union.
Une identité se construit
L’identité d’un groupe humain, a fortiori celle d’un groupe d’Etats et de citoyens, n’est pas une donnée intangible. Elle doit disposer, au départ, de bases communes préexistantes. Pour l’Union européenne, sa contribution à la paix et à la démocratie constitue ce socle, mais un socle à partir duquel il faut construire. La grande erreur des élites européennes a été de croire que ce qu’elles ressentaient comme une évidence l’était aussi ou le deviendrait peu à peu pour la masse des citoyens. La crise actuelle est en grande partie la conséquence de l’absence d’une grande politique de l’identité européenne.
[1] L’Europe par l’école ESKA 2006.
04 avril 2007
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