09 décembre 2007

Que penser du traité "simplifié"?

Paris 9 décembre Cette analyse fera l’objet d’un tiré à part d’ARRI (Association Relations et Réalités Internationales).

Un traité qui n’est en rien simplifié mais qui sort l’Europe de l’impasse.

La première observation qui vient à l’esprit à la lecture du nouveau traité est qu’il n’est en rien simplifié. A l’effort de clarification qu’avait tenté la Convention en réunissant tous les traités antérieurs dans un corpus unique est substitué un ensemble de plusieurs textes : un traité sur l’Union européenne relatif aux institutions, un traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif aux politiques, auquel s’ajoute la Charte des droits fondamentaux proclamée à Nice. Il s’agit d’amendements qui ne peuvent se comprendre qu’en se référant aux textes antérieurs. Aussi bien la formule traité modificatif ou réformateur correspond-elle mieux à la réalité.

Politiquement le jugement doit être nuancé. L’accord décisif est intervenu en juin à Berlin. Angela Merkel très habile et engagée, s’était alors bien accordée avec un Nicolas Sarkozy également très engagé et décidé à contribuer à la sortie de la crise ouverte par le rejet du 29 mai 05. La présidence portugaise a fait un excellent travail de mise en forme et obtenu, en octobre, un accord complet au prix d’un ultime marchandage avec les Polonais. Ce nouveau traité sera signé le 13 décembre à Lisbonne dont il portera le nom, ce qui devrait mettre fin à l’usage trompeur de l’adjectif simplifié, marque un incontestable recul par rapport au traité constitutionnel. Il n’en constitue pas moins un événement heureux qui évite une crise qui eût été, en cas de nouvel échec, d’une extrême gravité, met fin à un débat institutionnel lassant et permet de passer à autre chose.


L’essentiel des réformes est sauvegardé mais l’union politique n’est pas pour demain.

L’essentiel des réformes institutionnelles contenues dans le traité constitutionnel ont été reprises dans le nouveau traité, mais au prix de dispositions de nature à enlever à l’Union tout ce qui pourrait lui donner les allures d’un Etat. Ce faisant, on a gravement compromis les chances de l’Union de s’affirmer comme une entité politique ayant une identité distincte de celle de ses Etats membres. Ainsi le vote négatif des Français a conduit à un résultat que peu d’entre eux souhaitaient : une Union où l’économie l’emporte sur le volontarisme politique et la coopération interétatique sur la démocratie transnationale. Les reculs portent sur l’abandon du terme « constitution », la renonciation à faire mention des symboles de l’Union (drapeau, hymne, devise) qui n’en subsistent pas moins, l’abandon de l’affirmation suivant laquelle l’euro est la monnaie de l’Union, une disposition nouvelle protégeant les compétences des Etats en politique étrangère, une autre permettant au Conseil de demander l’abrogation d’une loi de l’Union. Au demeurant, ces lois continueront à être désignées sous les appellations peu compréhensibles de directive et de règlement au lieu de loi et loi-cadre qui figuraient dans le traité constitutionnel. La Charte des droits fondamentaux qui constituait le chapitre II du traité constitutionnel ne figure pas dans le nouveau traité mais celui-ci s’y réfère et lui reconnaît pleine valeur juridique. Le Royaume-Uni et la Pologne ont cependant obtenu de n’être pas liées par les obligations résultant de la Charte. M Tusk, récent vainqueur des élections polonaises a fait savoir que la Pologne renoncerait à cette dérogation, indication depuis lors démentie, sans doute sous l’influence du président Kaszinski.

La libre concurrence demeure malgré une concession aux Français

Les quelques innovations contenues dans la partie III du traité constitutionnel relative aux politiques ont été sauvegardées mais reléguées dans un deuxième traité sur le fonctionnement de l’Union où l’on retrouve la clause horizontale obtenue in extremis par Jacques Chirac disposant que toutes les politiques devraient prendre en compte les exigences sociales et environnementales. Mais l’essentiel de la partie III qui consistait dans la reprise de dispositions des traités précédents a disparu. Ainsi les orientations libérales ne seront pas gravées dans le marbre constitutionnel, satisfaction purement formelle pour les nonistes, dès lors que les dispositions des traités antérieurs demeurent et que leur valeur juridique n’est pas inférieure à celle que leur aurait conféré le traité constitutionnel. Un renforcement de la protection des services publics a été obtenu par les Néerlandais appuyés par les Français. De même Nicolas Sarkozy a obtenu que la concurrence, tout en demeurant une politique de l’Union, ne figure plus parmi ses objectifs. Modification de pure forme ou promesse d’un infléchissement de la jurisprudence de la Cour de Justice en faveur des objectifs sociaux et environnementaux ? La condamnation récente des abus de position dominante imputables à Microsoft n’en vient pas moins de montrer l’utilité de la politique de concurrence comme contrepoids à la puissance des plus grandes entreprises et comme facteur d’indépendance de l’Europe.

Un protocole protège les services d’intérêt général. Leur rôle essentiel est reconnu ainsi que le principe de l’accès universel aux services d’intérêt économique pour l’organisation desquels les autorités nationales, régionales et locales se voient reconnaître une grande marge de manoeuvre. La compétence des Etats membres concernant les services non économiques est garantie.


Le contenu des réformes institutionnelles

Les réformes retenues concernent la composition des institutions de l’Union et leur mode de décision.

Le Parlement comptera 251 membres, dont 96 pour l’Allemagne, 74 pour la France, 73 pour l’Italie et le Royaume-Uni. Pour la première fois la France voit pris en compte l’avantage démographique qu’elle doit à ses départements d’outre-mer et à sa natalité. L’Italie à qui le Parlement avait attribué un siège de moins que le Royaume-Uni a obtenu in extremis à Lisbonne un siège de plus en s’appuyant sur le nombre élevé de ses citoyens hors Italie. Le Conseil européen sera désormais doté d’un président n’exerçant pas de fonctions nationales dont le mandat renouvelable une fois sera d’un an et demi. Ce président sera désigné par le Conseil européen à la majorité qualifiée (55% des Etats, 65% de la population). La Commission ne comptera qu’un nombre de membres représentant les deux tiers du nombre des Etats. La rotation des nationalités sera égalitaire, ce qui veut dire que les grands pays, tout comme les moins grands, ne disposeront pas toujours de la présence d’un de leurs nationaux dans la Commission. Le président de la Commission sera élu par le Parlement après les élections européennes sur proposition du Conseil statuant à la majorité qualifiée. Celui-ci devra tenir compte du résultat des élections. La portée démocratique de ces dispositions dépendra de la capacité des partis politiques à se mettre d’accord sur leurs candidats avant les élections. L’un des vice-présidents de la Commission aura la responsabilité de la politique étrangère et de sécurité commune, sans toutefois le titre de ministre que lui attribuait le traité constitutionnel. Il disposera d’un service diplomatique. Il présidera le Conseil des ministres des affaires étrangères qui, comme le Conseil européen, échappera à la rotation semestrielle. En revanche la rotation des présidences persistera pour toutes les autres formations du Conseil.

La législation de l’Union qui conservera les noms de directives (devant être transposées dans le droit national) et de règlements (directement applicables) sera, en règle générale, soumise à la co-décision du Conseil et du Parlement, la Commission conservant son monopole d’initiative dans les domaines communautaires. Le mode de décision du Conseil est la question qui a soulevé les plus grandes difficultés. La règle d’unanimité subsiste en matière de politique étrangère, de sécurité, de défense et, ce qui est plus discutable, pour l’ensemble des décisions relatives à la fiscalité, à la protection sociale et à la création de recettes propres ou à la partie recettes du budget. Dans les autres domaines qui relèvent de la compétence de l’Union, la règle est celle de la majorité qualifiée définie comme 55% des Etats représentant au moins quinze d’entre eux et 65% de la population de l’Union. La minorité de blocage doit compter au moins quatre Etats. Les Polonais à qui le traité de Nice avait consenti, comme à l’Espagne, un nombre de voix (le mécanisme de décision relevait alors comme depuis le traité de Rome de l’attribution d’un quantum de voix à chaque Etat) presque égal à celui des pays les plus peuplés (27 au lieu de 29) avaient, dès la Convention, opposé une résistance acharnée mais solitaire à la double majorité. Après avoir en vain avancé une répartition des voix suivant la racine carrée des populations, ils ont obtenu le report à 2014 de la date d’application non du nouveau mode de décision, comme on le dit parfois, mais du nouveau mode de calcul de la majorité qualifiée ainsi que la formalisation, dans un protocole, de la déclaration dite de Joannina. En vertu de cette déclaration imposée par les Britanniques lors d’une réunion du Conseil européen tenue dans la ville grecque de Joannina, un Etat membre opposé à une décision prise à la majorité peut obtenir que la délibération se poursuive et que la décision soit retardée pendant « un délai raisonnable ». Enfin les Britanniques ont obtenu, pour le domaine de la sécurité intérieure (justice et police) de n’être pas liés par des décisions prises à la majorité sans leur accord.


Eurogroupe, Banque centrale, subsidiarité, coopérations renforcées

Le protocole relatif au Conseil de l’eurogroupe, qui figurait dans le traité constitutionnel est repris tel quel. Il est précisé qu’il siège de manière informelle, ce qui signifie qu’il n’a aucun pouvoir de décision, celui-ci appartenant au Conseil où siègent ensemble les représentants de pays membres ou non de la zone euro.

En dépit de ses protestations, la Banque centrale, qui souhaitait un statut à part, est rangée, au même titre que la Cour des comptes, parmi les institutions de l’Union mais son indépendance est confirmée.

Les dispositions relatives au contrôle de la subsidiarité à l’initiative des Parlements nationaux sont renforcées. La République tchèque a obtenu que le Conseil ait la faculté de demander à la Commission de proposer l’abrogation d’une directive ou d’un règlement.

La possibilité pour certains pays (au minimum neuf) d’aller de l’avant dans des domaines ne relevant pas des compétences exclusives de l’Union est réaffirmée mais demeure soumise à des conditions restrictives (accord du Conseil, nombre minimum de neuf Etats). Ces conditions sont plus souples et aucun nombre minimum de participants n’est exigé pour d’éventuelles « coopérations structurées » dans le secteur de la défense.


Protection des politiques nationales

Outre les dispositions relatives à la subsidiarité, de multiples sauvegardes des compétences nationales figurent dans les déclarations annexées au traité. On relève notamment une déclaration annexe préservant « le droit des Etats membres de prendre les dispositions nécessaires afin d’assurer leur approvisionnement énergétique » et, mieux encore si l’on peut dire, une déclaration d’origine britannique préservant « les responsabilités et les compétences de chaque Etat membre en ce qui concerne l’élaboration et la conduite de sa politique étrangère, son service diplomatique national, ses relations avec les pays tiers et sa participation à des organisations internationales, y compris l’appartenance au Conseil de sécurité des Nations unies. » Ceci augure mal des progrès de la politique étrangère commune de surcroît soumise à la règle paralysante d’unanimité. Tout acte législatif est exclu dans ce domaine et la compétence de la Cour de justice très limitée. Certains voient dans ces dispositions une sorte de revanche des diplomaties nationales.



Jugement d’ensemble

Les principales faiblesses du nouveau traité sont tout simplement celles qui pouvaient être relevées dans le traité constitutionnel. L’unanimité paralysante demeure en matière fiscale, pour la création de recettes propres de l’Union, pour la politique étrangère, pour la révision des traités. La composition de la Commission est loin de garantir son autorité. Ces faiblesses ont été aggravées par le souci des gouvernements d’aller au devant des craintes supposées de l’opinion et par l’exploitation habile qu’a su faire de l’échec des referenda en France et aux Pays-Bas une diplomatie britannique secondée par les jumeaux polonais. Tout ce qui pouvait paraître ouvrir la perspective de constitution d’une entité politique nouvelle a été soigneusement éliminé. Quelle chance a l’Union, dans ces conditions, de conduire une politique étrangère qui lui soit propre ? Beaucoup dépendra de la relation qui s’établira entre le nouveau président du Conseil européen à temps plein et celui de la Commission. Le risque d’une rivalité paralysante est évident. Malgré ses faiblesses, ce traité n’en représente pas moins un progrès considérable par rapport à celui de Nice. Il convient donc de faire ce qui dépend de nous pour qu’il soit ratifié.

La question reste posée de la finalité de l’Union. Il est plus que jamais clair que l’Europe ne pourra s’affirmer sur la scène du monde, y défendre ses intérêts, contribuer à un ordre plus sûr et plus humain si elle ne s’organise pas en une entité politique dotée d’un gouvernement, non certes un Etat fédéral mais une Union fédérale d’Etats et de citoyens au sein de laquelle l’intégration économique et la coopération politique se rejoindront. Deux innovations du traité reprises du traité constitutionnel, le président du Conseil européen déchargé de fonctions nationales et le haut représentant pour la politique étrangère intégré à la Commission comme vice-président pourraient conduire, le moment venu, à la formation d’un gouvernement européen. Il suffirait de fusionner les deux présidences et de réunir autour d’un président unique un cabinet politique composé de plusieurs vice-présidents de la Commission travaillant en liaison étroite avec les ministres nationaux comme devra le faire le haut représentant pour la politique étrangère. Mais cela supposerait une volonté politique qui aujourd’hui fait défaut. Les prochaines élections européennes seront un défi pour les partis politiques qui se veulent favorables à la construction européenne. Seront-ils capables de présenter en temps utile leurs candidats à la présidence de la Commission, sachant que le choix du président par les gouvernements devra tenir compte du résultat des élections ? L’Europe ne progressera pas sur le terrain politique si elle ne réussit pas à établir un lien de confiance avec ses citoyens.

Tous les Etats ne seront pas disposés à s’engager dans cette voix ou n’y seront pas prêts en même temps. Aussi convient-il de mettre à profit les formules de différenciation que prévoit le traité en veillant à ménager l’avenir. N’oublions jamais que si une avant-garde réussit, les autres la rejoindront comme l’a déjà montré la brève histoire de la construction européenne.

Aucun commentaire: