26 mai 2015

Le refus des quotas, un comble d'hypocrisie

            Paris, 25 mai 2015

            La pression migratoire que les conflits d’Afrique et du Proche-Orient fait peser sur l’Europe explique sans les justifier les palinodies des gouvernements. Comment peut-on à la fois reconnaître l’obligation humanitaire de porter secours à des naufragés, la nécessité de répartir plus équitablement la charge de l’accueil et refuser l’instrument de cette répartition proposé par la Commission, à savoir la détermination, pour chaque pays, d’un quota déterminé en fonction d’éléments objectifs (population, revenu par tête, nombre de réfugiés déjà accueillis). Un moment saluée par le ministre de l’Intérieur comme répondant aux préoccupations françaises, cette proposition a été brutalement écartée par le premier ministre comme par plusieurs de ses homologues. Or sur un sujet aussi sensible, il est peu probable que, sans une proposition de la Commission et un vote majoritaire, les gouvernements réussissent à s’accorder sur la répartition d’une charge qui ne saurait reposer sur les seuls pays d’accueil. Face à l’extrême barbarie qui caractérise le comportement du dernier protagoniste connu sous le nom de Daesh, acronyme arabe d’Etat islamique on serait en droit d’attendre plus de résolution. Les projets tendant à combattre cette nouvelle forme de criminalité internationale et à détruire ou immobiliser les bateaux ne peuvent avoir d’effets immédiats. Faut-il en attendant renoncer aux secours ou laisser se développer un concours à celui qui recevra le moins de réfugiés ?

13 mai 2015

La question du West Lothian et l'Europe

            Platier, 13 mai 2015

            Pendant combien de temps les députés et les électeurs anglais accepteront-t-ils que les députés écossais, gallois ou nord-irlandais participent au vote sur des lois ne concernant que l’Angleterre alors que les députés anglais ne peuvent se prononcer sur les lois concernant l’Ecosse, le Pays de Galles ou l’Ulster ? Cette question posée jadis par un député de la circonscription écossaise de West Lothian se pose avec plus d’acuité depuis les transferts de compétence promis aux Ecossais par Cameron qui s’est engagé à lui donner une réponse. Celle-ci pourrait consister à priver les membres de la Chambre des Communes élus hors de l’Angleterre de se prononcer sur la législation ne concernant que la seule Angleterre. Si, comme il est probable, les négociations que Cameron veut engager avec ses partenaires de l'UE aboutissent à consolider, voire à élargir les dérogations dont jouit le Royaume-Uni, ne serait-il pas logique de priver les membres britanniques du Conseil et du Parlement du droit de se prononcer sur des législations ne concernant que la zone euro, l’espace Schengen et plus généralement les domaines faisant l’objet d’exceptions consenties au Royaume-Uni ? La même question se pose pour les autres pays à dérogations à moins qu’ils ne s’engagent à y renoncer dans un délai à déterminer. Il serait en effet peu raisonnable d’exclure par exemple les Polonais des délibérations concernant l’euro alors que leur intention est de rejoindre l’union monétaire.  

04 mai 2015

Les dérives d'Emmanuel Todd

            Paris, 4 mai 2015

            Dans plusieurs articles de journaux ou entretiens télévisés annonçant la publication d’un essai polémique dont le titre serait « Qui est Charlie ? », le sociologue-démographe Emmanuel Todd s’attaque aux manifestants du 15 janvier dernier. Cette quasi-unanimité nationale lui parait cacher une réaction inconsciente mais perverse d’hostilité envers la minorité musulmane. Ainsi se développe une controverse dont Libération d’aujourd’hui se fait largement l’écho où l’on retrouve curieusement la vieille opposition à propos de la construction européenne qui déchire notre pays depuis le débat des années 50 sur le projet de Communauté européenne de défense. Todd était trop jeune pour combattre la CED mais il s’est opposé vivement au traité de Maastricht et à la constitution européenne. Il se fait l'avocat de l'abandon de l'euro cause, selon lui, du chômage de masse imputable, en réalité aux rigidités de notre marché du travail. Sous l’apparence d’une empathie avec la minorité musulmane, ce qui insupporte Emmanuel Todd dans l’élan du 15 janvier, n’est rien d’autre que la communion d’un grand nombre de Français parmi les plus instruits avec les valeurs d’un monde européen et occidental affronté au défi de la barbarie.  

16 avril 2015

La dissuasion par le naufrage

            Paris 16 avril 2015

            Le naufrage de plus de 400 migrants en Méditerranée est un nouvel et dramatique témoignage de l’impuissance de l’Europe. Combien de victimes seront nécessaires pour que soient prises les mesures qui s’imposent : déploiement d’une flotte capable d’arrêter les bateaux peu après leur départ, négociations avec les autorités de droit ou de fait contrôlant le littoral, remplacement du système Dublin qui met les migrants à la charge du pays qui les a secourus par une répartition équitable entre tous les Etats de l’Union. Nous sommes ici en présence d’une situation où le refus des Etats de se dessaisir d’une part de leur souveraineté les conduit à adopter une attitude indéfendable au regard des valeurs européennes : l’utilisation de la menace du naufrage comme arme de dissuasion contre l’immigration illégale. Loin d’être félicitée pour son action humanitaire dans le cadre de son programme Mare nostrum, l’Italie a été accusée, notamment par Cameron, d’encourager le départ des candidats à la migration. Le programme Triton qui a pris la suite dans le cadre de l’Agence européenne Frontex n’est pas conçu pour venir au secours des naufragés, alors que c’est tout ce qu’il peut faire, et avec des moyens dramatiquement insuffisants. 

08 avril 2015

Actualité européenne

Paris 8 avril 2015

Voici le résumé de mon dernier exposé au club Europe d'ARRI.

Observatoire de l’Europe
Le printemps du sursaut ?

En ce printemps, l’Europe est confrontée à de redoutables défis sécuritaires tandis que les perspectives du retour à la croissance bénéficient d’une conjoncture exceptionnellement favorable malgré les difficultés persistantes du côté de la Grèce.

Les défis sécuritaires

          Un nouvel accord de cessez-le-feu a été conclu à Minsk le 12 février. Contrairement à ce que l’on pouvait craindre, l’UE a réussi à maintenir une certaine unité face à Poutine qui s’est manifestée par l’adoption de sanctions ciblées. Alors que Poutine redoute la force d’influence de l’UE, il est regrettable que l’Union n’ait pas été présente, en tant que telle, à Minsk. On aurait aimé voir le président du Conseil européen Donald Tusk aux côtés de la Chancelière allemande et du Président français. La complaisance pour l’agressivité moscovite des souverainistes des deux bords est une trahison des valeurs et des intérêts européens.

          La menace terroriste a pris une autre dimension depuis qu’Al Qaïda a été en quelque sorte relayée par un groupe criminel ultra-violent prétendant exercer une autorité étatique, celle d’un nouveau khalifa étendant son pouvoir sur une partie importante de la Syrie et de l’Irak et suscitant des déclarations d’allégeance venant de la Libye en guerre civile et du Nord-Nigéria où sévit Boko Haram. Les bombardements, pour l’essentiel américains, ont contenu Daech mais ne l’ont pas détruit. L’hostilité des Arabes sunnites à l’égard des chiites dominants en Irak explique l’incapacité de la Ligue arabe à affronter Daech sur le terrain, alors qu’elle combat les chiites au Yémen et redoute un éventuel accord sur le nucléaire iranien. Les hésitations occidentales face à l’incroyable imbroglio syrien complètent un tableau assez désastreux. Les Européens ne sont pas prêts à relever le défi de la sécurité. L’inaction du Royaume-Uni au Nigéria est, pour le moins, surprenante. Seule la France se révèle interventionniste. Elle regrette d’être seule dans le Sahel et en Centrafrique, mais ne tient pas à partager les décisions.

Les propos de Jean-Claude Juncker publiés dans le journal allemand Well am Sontag en faveur d’une armée européenne sont-ils révélateurs d’une prise de conscience ? La ministre allemande de la Défense Van der Leyen a approuvé le projet tout en le situant dans le long terme…
 
L’armée européenne n’est pas pour demain. En revanche, l’Europe ne pourra tarder à affronter un défi migratoire dont l’ampleur est décuplée par le chaos qui règne au Moyen-Orient, ainsi que dans plusieurs pays d’Afrique. Daech nous menace, en cas d’intervention en Libye, de lancer 500 000 malheureux à l’assaut du littoral européen. Une Europe qui utiliserait le naufrage comme arme de dissuasion trahirait une valeur essentielle. Un renforcement considérable des moyens de Frontex serait nécessaire pour endiguer le départ des migrants. La charge de l’accueil et de l’asile devrait être plus équitablement répartie.

Retrouver la croissance et l’emploi, lutter contre l’évasion fiscale, sauver la Grèce
         
          Une conjonction exceptionnelle, taux d’intérêt, niveau de l’euro, cours du pétrole, laisse espérer une reprise générale de l’activité dans la zone euro. Le plan Juncker est destiné à stimuler l’investissement. Son succès dépend des critères qui détermineront les choix des entreprises ou des secteurs bénéficiaires. L’élimination des obstacles qui fracturent le marché unique, en particulier dans l’énergie et les communications, devrait aussi y contribuer, tout comme la perspective d’une ouverture transatlantique à laquelle est supposé conduire la négociation avec les Etats-Unis d’un traité de partenariat connu sous le sigle TTIP. Ce projet, visant à unifier des normes dont on espère qu’elles s’imposeraient universellement, suscite une forte opposition, notamment en Allemagne et en Autriche. Les adversaires redoutent un affaiblissement des protections sociales et environnementales de même que l’arbitrage privé en cas de conflits que demandent les négociateurs américains. La Commission, qui est en charge des négociations, demande aux gouvernements de lui accorder dans les capitales le même degré de soutien qu’ils affichent à Bruxelles.

          La décision de la BCE de racheter les titres de créance détenus par les banques semble avoir été prise contre l’avis de la Bundesbank mais avec l’accord tacite de la Chancelière. Les opérations ont commencé en mars. Elles ont contribué, avant même leur entrée en vigueur, à la normalisation du cours de l’euro que nos exportateurs attendaient depuis longtemps.

          La révélation de l’ampleur des concessions fiscales consenties par le Luxembourg alors que Jean-Claude Jungker exerçait les fonctions de ministre des finances a suscité de forts remous. Cette affaire a contribué à créer un climat favorable à une lutte contre l’évasion fiscale des grandes firmes.

          Le gouvernement Tsipras issu des élections grecques du 25 janvier poursuit de difficiles négociations avec ses partenaires de la zone euro. Il s’agit d’obtenir un programme de réformes précis en échange d’une aide supplémentaire. Les Grecs ont obtenu que leur problème soit débattu au niveau politique. Ils se heurtent au refus de pays parfois plus pauvres qu’eux de les dispenser de l’effort communément accepté. Il n’est pas possible de prévoir l’issue de cette négociation. Est-il souhaitable qu’elle réussisse ? Certains en doutent car ils ne font pas confiance à la capacité, voire à la volonté de redressement du gouvernement Tsipras. Un Grexit n’en serait pas moins ressenti comme un échec de l’Europe.  

          La négociation bilatérale entre la Chancelière et le Premier ministre grec est un signe parmi d’autres de la position dominante de l’Allemagne. Celle-ci ne résulte nullement d’une volonté hégémonique mais de la faiblesse de ses partenaires. D’où viendra le sursaut ?

           

           

 

30 mars 2015

Adieu à Michel Albert

Adieu à Michel Albert
Michel Albert nous a quittés le 19 mars à l’âge de 85 ans. Il avait été victime en décembre d’une chute qui avait provoqué une hémorragie cérébrale. Avec lui disparait l’un des plus brillants avocats de la cause européenne, non de l’Europe impuissante des souverainetés étatiques mais d’une Europe fédérale limitée dans son champ de compétences mais disposant des moyens de décider et d’agir, telle que l’avaient conçue Jean Monnet et Robert Schuman.
 De modeste origine, il était un produit exemplaire de la méritocratie républicaine. Passé par Sciences Po et l’ENA, docteur en économie, il tenait sans doute en partie de ses racines populaires une exceptionnelle capacité d’écoute et d’empathie. Son caractère chaleureux n’était pas pour rien dans ses succès et dans l’influence qu’il put exercer en des circonstances diverses. Jeune inspecteur des finances, il assura, en 1959, le secrétariat général du groupe Rueff – Armand chargé de concevoir des réformes propres à favoriser la croissance économique. Déjà, parmi de multiples propositions qui suscitèrent de vives résistances, figurait la remise en cause du statut des taxis. L’exigence de la modernisation devait être, avec l’Europe, le fil directeur de sa brillante carrière. Je le connaissais depuis que nous nous étions rencontrés à l’inspection des finances. Nous partagions la même conviction que la construction d’une Europe unie serait la tâche de notre génération et contribuerait à la modernisation de la France. Après un séjour au Maroc où il créa une inspection des finances, il rejoignit les institutions communautaires en 1963. Après être passé par la Banque européenne d’investissement (BEI), il intégra les services de la Commission en tant que directeur des structures et du développement économique. Etant moi-même à Bruxelles depuis 1962, nous fîmes ensemble la douloureuse expérience de la dérive provoquée par la diplomatie du général de Gaulle dont nous admirions cependant la contribution au redressement de l’économie française et à la réconciliation franco-allemande. Le refus français du fédéralisme qui persista après la démission du général de Gaulle, alors qu’était levé le veto à l’adhésion du Royaume-Uni, ne permit pas que le premier élargissement de la Communauté s’accompagnât d’un pas en direction d’une Europe politique.
Le champ de réflexion privilégié de Michel Albert était l’économique et le social plus que le juridique et l’institutionnel. Il a été l’inventeur du modèle rhénan. Ainsi mit-il en lumière dans un ouvrage paru en 1991 sous le titre Capitalisme contre capitalisme qui connut un grand succès l’opposition qu’il discernait entre un capitalisme rhénan pratiquant dialogue social, cogestion et souci du long terme et un capitalisme anglo-américain soumis à la loi des résultats à court terme, où l’intérêt des actionnaires prime celui de l’entreprise. La crise née des abus de la finance aux Etats-Unis devait confirmer la pertinence de son analyse. Elle démontrait aussi que la maîtrise de la mondialisation n’irait pas sans la construction patiente d’un ordre supranational dont l’Union européenne était le modèle le plus accompli, si imparfait soit-il.
Dès les années soixante, Michel Albert avait eu l’occasion d’affirmer son engagement européen et humaniste, lors d’une collaboration avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, éphémère leader du parti radical, auprès duquel sa faculté de séduction s’était exercée. Après avoir largement participé à la rédaction du défi américain,  best seller paru en 1968 sous la signature de JJSS, il affirma ses convictions dans Ciel et terre, manifeste du parti radical.
Nommé commissaire au Plan en 1978, il eut le courage de dénoncer auprès de Raymond Barre, Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, le risque d’apparition d’un chômage de masse. Revenu quelque temps à l’inspection des finances, à la suite de l’arrivée de la Gauche au pouvoir, il fut nommé en 1982 à la présidence des Assurances Générales de France, récemment nationalisées, fonction qu’il exercera jusqu’en 1994.
Elu à l’Académie des sciences morales et politiques en mars 1994, il accède à la présidence de l’Académie en 2004 et exerce les fonctions de Secrétaire Perpétuel de 2005 à 2010. Son intérêt pour l’Europe se traduit par diverses contributions : sur le couple franco-allemand, la réception de Jean-Claude Juncker comme membre associé étranger, la France et la mondialisation, enfin l’organisation d’un cycle de Regards croisés sur l’Europe auquel j’eus l’honneur de participer sur le thème d’une réforme des Nations Unies inspirée par l’expérience européenne.
 L’engagement européen de Michel Albert et ses talents exceptionnels de pédagogue lui ont valu d’être appelé à participer à de multiples organismes voués à cette cause parmi lesquels l’AFEUR (Association française d’études pour l’Union européenne), l’ARRI (Association réalités et relations internationales) dont il était membre du comité de parrainage, la LECE (Ligue européenne de coopération économique), le Mouvement européen, la Fondation Robert Schuman, le CIFE (Centre International de Formation Européenne) dont il sera président en 2004, puis président d’honneur en 2006. Il était également président d’honneur de la branche française de l’Union européenne des fédéralistes (UEF France).
Les engagements de Michel Albert étaient indissociables d’une conviction religieuse à laquelle il était resté fidèle et qu’il partageait avec une épouse qui lui était très proche et qui contribua grandement à son rayonnement.

Oeuvres.





13 mars 2015

Jungker ose parler d'armée européenne

Paris, 13 mars 2015

Dans le journal allemand Welt am Sonntag le président de la Commission relance un concept oublié, celui d'une armée européenne comme réplique aux menaces de Poutine " On ne créerait pas une armée européenne pour l'utiliser immédiatement. Mais une armée commune à tous les Européens ferait comprendre à la Russie que nous sommes sérieux quand il s'agit de défendre les valeurs de l'UE " (propos ignorés de la plupart des media français mais rapportés par Arnaud Leparmentier dans le Monde  du 12 mars). Cette prise de position audacieuse a aussitôt suscité la colère de Farage leader de l'UKIP et d'un parlementaire conservateur. Mais elle a fait l'objet d'un commentaire intéressant d'Ursula von der Leyen ministre allemande de la défense: " Notre avenir, en tant qu'Européens, passera un jour par une armée européenne ". On attend les réactions des dirigeants français.

04 mars 2015

Faut-il souhaiter que la Grèce quitte l'euro?

          Platier, 4 mars 2015

          L’ancien Président Valéry Giscard d’Estaing qui fut en son temps l’avocat de l’entrée de la Grèce dans la Communauté européenne prône aujourd’hui le Brexit. Peut-on lui faire observer avec la déférence qui lui est due que seule est prévue par les traités la sortie de l’Union et non de la seule zone euro, et au dela de cette considération juridique, les très graves dommages qui en résulteraient pour la Grèce et pour l’UE ? Une Grèce incapable de payer des importations essentielles subirait un désastre humanitaire. L’UE ne pourrait y être insensible. Une nouvelle aide à la Grèce s’ajouterait aux pertes résultant du non remboursement de la dette. Plus grave serait le coup porté à la confiance dans l’avenir et l’irréversibilité de la monnaie unique. Le moyen de pallier le risque créé par ce qui apparaîtrait comme un redoutable précédent serait un progrès de l’intégration budgétaire et fiscale, notamment la création de ressources propres, auquel les Etats ne semblent guère disposés.

23 février 2015

La migration comme arme de guerre

          Paris, 23 février 2015


          Faudra-t-il que Daesh mette en œuvre sa menace de lancer des dizaines de milliers de boat people vers les côtes européennes pour que les institutions de l’UE et les gouvernements se décident à faire face collectivement à ce double défi guerrier et humanitaire ? Il convient de faire obstacle par tous les moyens diplomatiques et militaires au départ des embarcations depuis les côtes libyennes sachant qu’il serait humainement impossible de laisser sans secours les malheureux qui auraient réussi à embarquer. La charge de refouler ou d’accueillir des milliers de réfugiés ne peut être laissée à la charge principale des pays riverains de la Méditerranée. Ne faudrait-il pas introduire cette considération dans les discussions en cours sur la conformité des budgets, notamment grec et italien avec les exigences budgétaires européennes ? 

13 février 2015

Un accord sans l'Europe et sans garanties

          Paris 13 février 2015
          Ce matin, Hubert Védrine soulignait à plaisir dans sa chronique de France Culture que l’Europe institutionnelle n’était pour rien dans le nouvel accord de Minsk dont le mérite revenait seulement au couple franco-allemand. Il ne se demandait pas si l’exclusion des institutions européennes n’était pas l’un des objectifs de Poutine à qui l’on a fait ce cadeau sans contrepartie, pas plus qu’on n’a obtenu la moindre concession en échange de l’annexion de l’Ukraine. Sans doute l’entente Hollande-Merkel était-elle réjouissante. Ne boudons pas notre bonheur mais demandons-nous cependant si la présence de Donald Tusk président polonais du Conseil européen n’aurait pas renforcé la main des Européens. Comment se réjouir de la trêve sans redouter qu’elle connaisse le même sort que la précédente ? On peut prévoir que le statut de la zone décentralisée du Donbass ressemblera à celui de la Transnistrie, province théoriquement moldave mais de fait sous protectorat russe.

          Un nouveau drame vient de se produire en Méditerranée qui n’est pas à l’honneur des Européens. Nous en reparlerons !

28 janvier 2015

L'Europe après les attentats


 Observatoire du 27 janvier 2015

L’Europe après les attentats

          En ce début d’année, deux événements dominent l’actualité européenne, les attentats terroristes de Paris et les initiatives visant à dynamiser la croissance dans une zone euro menacée de déflation. On peut ajouter l’aggravation du conflit en Ukraine et le résultat des élections grecques.

Conséquences des attentats pour l’Europe

          La marche du 11 janvier  était une marche pour les valeurs européennes. La présence sans précédent des principaux dirigeants de l’UE aurait été plus significative si un plus grand nombre de drapeaux aux douze étoiles avaient été brandis par les marcheurs. Cela aurait compensé la gêne que l’on pouvait ressentir du fait de certaines présences. Les réactions populaires violentes à l’ultime caricature publiée par Charlie Hebdo, y compris dans des pays qui ont bénéficié de notre protection contre les islamistes appellent une réponse forte et solidaire des Européens.

          Trop peu a été fait pour développer la fierté d’être européens, pour mettre en lumière les bienfaits de toute sorte qu’apportait la construction européenne, alors même que ceux-ci ont été longtemps évidents. Un grand dessein ne peut se passer de symboles. Or ceux-ci ont été éliminés du traité de Lisbonne, satisfaction dérisoire donnée aux nonistes français et néerlandais de 1985, mais terrible aveu de renoncement.

          Quelles conséquences pour les politiques de l’Union ? La priorité devrait être une intensification des échanges de renseignements et la répression des incitations au terrorisme sur les réseaux sociaux. Occasion de renforcer Europol, Eurojust et le Délégué à la coordination de la lutte contre le terrorisme. Deux obstacles. La tendance de chacun à garder ses secrets, même à l’intérieur de chaque Etat. Les objections au nom des libertés, le désir de ne pas répéter les excès du Patriot Act. Où placer le curseur entre sécurité et liberté ? Il semble que le Parlement s’apprête à lever ses objections au fichage des voyageurs aériens (passenger name record). Un renforcement des contrôles à la frontière extérieure est la meilleure réponse aux invocations démagogiques et irréalistes au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures.



Schengen, l’immigration et l’asile

          La libre circulation dans l’UE est un acquis auquel les citoyens sont attachés, notamment les jeunes qui, toujours plus nombreux, font une partie de leurs études à l’étranger, qu’ils bénéficient ou non d’une bourse Erasmus, ou y trouvent un emploi qu’ils n’ont pu trouver dans leur propre pays. Or cet acquis risque d’être mis en cause par l’incapacité des Européens à définir une politique commune en matière d’immigration et d’asile. Les opinions sont partagées entre la crainte d’une vague migratoire menaçant les systèmes sociaux et les identités et la compassion à l’égard des malheureux qui fuient, au péril de leur vie, des pays livrés à l’anarchie et à la guerre civile, sur fond de terrorisme islamiste. L’Italie, dans le cadre d’un programme appelé Mare nostrum a sauvé environ 160 000 naufragés avant de passer le relai à l’UE dont la solidarité se borne à déployer des navires dont la mission est de faire obstacle à l’immigration illégale plutôt que de secourir des naufragés. Face à la méthode nouvelle consistant à entasser des centaines de personnes sur des navires-poubelles abandonnés au large des côtes, l’Italie n’a pas d’autre choix que les accueillir, au risque de se voir non pas félicitée pour sa générosité mais accusée  d’encourager les vocations à la migration. L’UE dans son ensemble n’a accueilli qu’environ 4% des réfugiés syriens, les autres se répartissant entre Turquie, Liban et Jordanie. La France elle-même en a accueilli un nombre très limité.  Le règlement de Dublin imposant au pays d’entrée d’assumer seul l’accueil des migrants entrés illégalement sur son territoire est une entorse de moins en moins admissible au principe de solidarité européenne. L’évolution de la situation en Irak, en Syrie, au Yémen, en Erythrée, en Somalie, en Lybie ne permet pas d’espérer un ralentissement du flux de réfugiés ayant droit à l’asile.

          Un problème analogue de solidarité se pose pour la France qui assume, principalement en Afrique, des charges qu’elle aimerait voir partagées ou au moins déduites des déficits publics au regard de la règle des 3%. L’organisation d’une solidarité face aux périls extérieurs, hors OTAN, supposerait un cadre institutionnel, coopération structurée prévue par Lisbonne mais non utilisée, et un budget.  Le seul instrument incontestable de solidarité est le budget européen. En l’absence d’une compétence reconnue à l’UE en matière de sécurité extérieure et de décisions explicites du Conseil européen, il est difficile de parvenir à un accord de partage des responsabilités, notamment financières. Dès lors chacun doit assumer les dépenses correspondant à sa participation à des actions collectives. Ainsi en est-il de l’un des succès méconnus de l’Europe en matière de sécurité, l’opération Atalante de lutte contre le piratage au large de la Somalie. L’Europe-puissance que prétend souhaiter la France demeurera un rêve tant que n’existera pas un budget de défense ou, mieux, un chapitre défense dans le budget de l’UE qui, au demeurant, devrait couvrir non seulement les opérations militaires décidées par l’UE mais aussi et d’abord les dépenses de recherche en matière d’armes nouvelles et de moyens modernes de communication. Quels Etats y seraient disposés ? Sûrement pas le Royaume-Uni ! Mais quid de la France et de l’Allemagne ?   

L’énigme Poutine

          Les relations avec la Russie de Poutine donnent lieu, notamment en France, à un curieux débat. La politique des sanctions largement justifiées par les ingérences en Ukraine, pour ne pas parler de l’annexion de la Crimée, est contestée par une coalition qui réunit l’extrême gauche, l’extrême droite ainsi que quelques parlementaires de l’UMP. Au plan de la politique européenne, on peut regretter que l’accord d’association avec l’Ukraine ait été négocié sans tenir compte des liens historiques avec la Russie. Les différences de sensibilité entre d’une part, Polonais et Baltes, redoutant les tendances impérialistes de Poutine d’autre part Français et Allemands, soucieux d’éviter une aggravation du conflit n’ont pas fait obstacle aux décisions. La livraison des Mistral place la France dans une situation particulièrement difficile. En définitive, l’UE est en face du choix classique entre politique de principes et realpolitik. La propagande anti-occidentale violente et unilatérale en œuvre à Moscou ne plaide pas en faveur du compromis. La chute des cours du pétrole aggrave considérablement le poids des sanctions, au point que certains redoutent un effondrement de l’économie russe qui ne serait pas à notre avantage.

Les problèmes de la zone euro 

          Malgré une conjonction exceptionnellement favorable (baisse du pétrole, baisse de l’euro, stabilité à niveau bas des taux d’intérêt), la croissance demeure médiocre dans la zone euro alors que la reprise est vive aux USA et même au RU. Certains redoutent une déflation qui pourrait, par anticipations de baisse des prix enclencher un processus récessif.

           Face à cette situation deux initiatives : le plan Juncker, le plan Draghi. L’un et l’autre soulèvent la querelle de l’endettement. C’est aujourd’hui le principal sujet de désaccord entre économistes (libéraux contre keynésiens) et entre Allemagne et France. Pour les uns le poids excessif de l’endettement public nuit à la confiance et ralentit l’investissement. Il convient donc en priorité de réduire le déficit. Pour les autres, une réduction trop rapide du déficit, par l’augmentation des impôts ou la baisse des dépenses, ne peut que ralentir la croissance et rendre plus difficile la réduction du déficit et de la dette. Le bon compromis consisterait à combiner souplesse budgétaire et audace dans les réformes.

          Un autre débat, celui de la capacité d’emprunt de l’UE, vient se greffer sur celui de l’endettement des Etats. Les Etats sont endettés (France : 95% du PIB), l’Europe ne l’est pas. Dans une vision fédéraliste, un Trésor européen pourrait favoriser la croissance en empruntant pour financer de grands équipements ou encore des programmes d’innovation. Un Trésor européen supposerait un budget européen alimenté par des impôts européens. La résistance à cette réforme fondamentale est vive de chaque côté du Rhin, davantage pour des raisons de souveraineté en France, de rigueur financière en Allemagne. Peut-on durablement maintenir une monnaie unique non adossée à un Etat ?

          Le plan Juncker est une tentative de compromis : relance par l’investissement mais en faisant appel à la BEI (Banque européenne d’investissements) et en espérant mobiliser des fonds privés, grâce à la qualité des projets, voire à des garanties de l’UE. Vingt à trente milliards de fonds publics génèreraient plus de 300 milliards d’investissements, ce qui est peu à l’échelle de l’UE. La faisabilité du plan et son efficacité restent à démontrer.

          Mario Draghi avait promis de faire ce qui serait nécessaire pour sauver l’euro. Après avoir obtenu un feu vert de la Cour de Justice et, semble-t-il, un feu orange de Berlin, il a annoncé un programme massif d’achats de dette souveraine (60 milliards par mois pendant 18 mois, au moins 1140 milliards). Ce quantitative easing à l’européenne vise à favoriser la relance et à prévenir le risque de déflation. La mutualisation des risques de défaillance ne sera que très partielle, chaque banque centrale nationale en assumant 80%. Cette restriction à la solidarité destinée à rassurer l’Allemagne me parait théorique. On n’imagine pas que la BCE laisserait sans appui une banque nationale en difficulté.

          La reprise de la croissance, but commun de ces plans, suppose la poursuite des efforts de réduction des déficits, un retour de la confiance, mais aussi une meilleure exploitation par les Européens des opportunités créées par la révolution informatique.





Les élections grecques

          Il est trop tôt pour juger des conséquences des élections grecques. Les promesses de Syrisa et de son jeune leader charismatique Tsipras menacent un équilibre budgétaire péniblement acquis. Il n’est pas surprenant que les Grecs, très sévèrement sanctionnés pour les fautes de leurs dirigeants, éprouvent le désir d’une remise de peine. Les négociations en vue d’un nouvel allègement de la dette (étalement des échéances, baisse des taux d’intérêt) seront très difficiles, notamment par crainte d’un précédent encourageant un laxisme généralisé. L’accord passé par Syrisa avec une formation souverainiste et xénophobe laisse craindre une logique d’affrontement qui pourrait conduire à une sortie de la zone euro qui ferait perdre  à la Grèce le bénéfice des efforts qui lui ont été imposés et constituerait un mauvais signal pour la pérennité de l’union monétaire.

L’excès de réglementation

          L’une des premières décisions de la Commission Juncker a été le retrait d’une cinquantaine de propositions concernant pour la plupart l’environnement et la santé. Décision qui a immédiatement provoqué la protestation des écologistes. Il est vrai que les directives européennes irritent souvent, notamment quand l’administration nationale « en rajoute » dans la transposition. Le souhait de voir  l’Europe se concentrer sur les affaires majeures parait relever du bon sens. Il faut cependant rappeler que le niveau de protection de l’environnement, des consommateurs et de la santé publique ne serait pas ce qu’il est sans l’Europe. Exemples : les pots catalytiques, violemment contestés par Jacques Calvet, alors patron de Peugeot, les obligations imposées aux agriculteurs (herbages, protection des cours d’eau), Natura 2000 à quoi nous devons la préservation de nombreux sites naturels, les directives relatives à la sécurité alimentaire qui nous permettent d’exporter en Chine notre lait pour bébés, enfin la réglementation des produits chimiques contestée par l’industrie mais soutenue par l’opinion. Il est vrai que le jugement de l’opinion est sujet à des emballements irrationnels (OGM, nucléaire) qui varient suivant les Etats et paralysent l’action de l’UE. Celle-ci doit-elle s’intéresser à la chasse, au bien-être animal ?

 

12 janvier 2015

Les symboles retrouvés


            Saint Raphaël, 12 janvier 2015

            Une poignée d’assassins fanatiques a subitement redonné vie et actualité à la devise républicaine. Au nom de la liberté, trois millions d’hommes et de femmes ont éprouvé leur fraternité dans l’égalité. Pour la première fois dans l’histoire de la construction européenne, les leaders de l’Union se sont réunis pour manifester leur attachement à des valeurs communes sans que des enjeux d’économie, de finance ou de pouvoir soient à l’arrière-plan. Miracle, je crois avoir entendu Cameron parler de valeurs européennes ! Faisons un rêve : Si son impuissance face à la crise ne l’avait rendue impopulaire, des milliers de drapeaux aux douze étoiles auraient dû côtoyer les drapeaux tricolores. La relance européenne suppose un retour aux symboles sans lesquels une civilisation s’affadit.   

31 décembre 2014

Europe et ordre mondial


            Paris, 31 décembre 2014

            La lecture tardive d’un article de Jean-Marie Guéhenno paru cet été dans la Revue Esprit, me fournit le thème de mes vœux pour l’Europe et pour chacun de mes lecteurs. L’ancien sous-secrétaire général des Nations-Unies décrit impitoyablement le déclin du multilatéralisme sous l’effet de la résurgence générale des nationalismes et de la suprématie des intérêts particuliers sur un intérêt général de l’humanité largement ignoré en dépit des évidences d’un désordre mondial de plus en plus menaçant. A titre d’exemple, la renonciation de fait à toute réforme d’une ONU devenue de moins en moins représentative, donc de moins en moins légitime et toujours paralysée par le veto des Cinq grands de 1945. L’Union européenne, elle-même en crise de légitimité, n’exerce plus, comme jadis, un effet d’exemple favorisant les solutions coopératives aux inévitables conflits internationaux. Voilà pourquoi, en militant pour une relance de l’Europe que devrait permettre la sortie de crise et une transition institutionnelle réussie, nous ne travaillons pas seulement pour nous mais pour l’humanité entière.

18 décembre 2014

France - Allemagne Halte au feu



Paris, 18 décembre.
Depuis quelques semaines, le ton des débats sur la politique économique entre les deux principaux partenaires et animateurs de cette grande communauté d’Etats et de peuples est très loin de ce qu’il devrait être. Depuis la goujaterie de Mélanchon intimant l’ordre à la Chancelière de la fermer, jusqu’aux déclarations de personnalités s’étonnant que l’on puisse manquer de respect à un "grand" pays en lui rappelant ses engagements non tenus, tout est fait pour réveiller les vieilles rancunes. On voit dans les magazines des dessins rappelant le temps des invasions. La France, depuis Bérégovoy, réclame un gouvernement pour la zone euro sans avoir jamais eu l’intention de se plier à des décisions lui imposant un plan sérieux de réduction des déficits, décisions que de moins grands pays mais tout aussi soucieux de leur dignité ont dû respecter. Si notre incapacité à tenir nos engagements, ne nous avait fait perdre toute crédibilité, nous serions mieux placés pour exiger une politique plus collaborative de la part de l’Allemagne.
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