Paris 8 avril 2015
Voici le résumé de mon dernier exposé au club Europe d'ARRI.
Observatoire
de l’Europe
Le
printemps du sursaut ?
En ce printemps, l’Europe est confrontée à
de redoutables défis sécuritaires tandis que les perspectives du retour à la
croissance bénéficient d’une conjoncture exceptionnellement favorable malgré
les difficultés persistantes du côté de la Grèce.
Les défis sécuritaires
Un nouvel accord de cessez-le-feu a
été conclu à Minsk le 12 février. Contrairement à ce que l’on pouvait craindre,
l’UE a réussi à maintenir une certaine unité face à Poutine qui s’est
manifestée par l’adoption de sanctions ciblées. Alors que Poutine redoute la
force d’influence de l’UE, il est regrettable que l’Union n’ait pas été
présente, en tant que telle, à Minsk. On aurait aimé voir le président du Conseil
européen Donald Tusk aux côtés de la Chancelière allemande et du Président français.
La complaisance pour l’agressivité moscovite des souverainistes des deux bords
est une trahison des valeurs et des intérêts européens.
La menace terroriste a pris une autre
dimension depuis qu’Al Qaïda a été en quelque sorte relayée par un groupe
criminel ultra-violent prétendant exercer une autorité étatique, celle d’un
nouveau khalifa étendant son pouvoir sur une partie importante de la Syrie et
de l’Irak et suscitant des déclarations d’allégeance venant de la Libye en
guerre civile et du Nord-Nigéria où sévit Boko Haram. Les bombardements, pour
l’essentiel américains, ont contenu Daech mais ne l’ont pas détruit. L’hostilité
des Arabes sunnites à l’égard des chiites dominants en Irak explique l’incapacité
de la Ligue arabe à affronter Daech sur le terrain, alors qu’elle combat les
chiites au Yémen et redoute un éventuel accord sur le nucléaire iranien. Les
hésitations occidentales face à l’incroyable imbroglio syrien complètent un
tableau assez désastreux. Les Européens ne sont pas prêts à relever le défi de
la sécurité. L’inaction du Royaume-Uni au Nigéria est, pour le moins,
surprenante. Seule la France se révèle interventionniste. Elle regrette d’être
seule dans le Sahel et en Centrafrique, mais ne tient pas à partager les
décisions.
Les propos de Jean-Claude Juncker publiés
dans le journal allemand Well am Sontag
en faveur d’une armée européenne sont-ils révélateurs d’une prise de conscience ?
La ministre allemande de la Défense Van der Leyen a approuvé le projet tout en
le situant dans le long terme…
L’armée européenne n’est pas pour demain.
En revanche, l’Europe ne pourra tarder à affronter un défi migratoire dont
l’ampleur est décuplée par le chaos qui règne au Moyen-Orient, ainsi que dans
plusieurs pays d’Afrique. Daech nous menace, en cas d’intervention en Libye, de
lancer 500 000 malheureux à l’assaut du littoral européen. Une Europe qui
utiliserait le naufrage comme arme de dissuasion trahirait une valeur
essentielle. Un renforcement considérable des moyens de Frontex serait
nécessaire pour endiguer le départ des migrants. La charge de l’accueil et de
l’asile devrait être plus équitablement répartie.
Retrouver
la croissance et l’emploi, lutter contre l’évasion fiscale, sauver la Grèce
Une
conjonction exceptionnelle, taux d’intérêt, niveau de l’euro, cours du pétrole,
laisse espérer une reprise générale de l’activité dans la zone euro. Le plan
Juncker est destiné à stimuler l’investissement. Son succès dépend des critères
qui détermineront les choix des entreprises ou des secteurs bénéficiaires.
L’élimination des obstacles qui fracturent le marché unique, en particulier
dans l’énergie et les communications, devrait aussi y contribuer, tout comme la
perspective d’une ouverture transatlantique à laquelle est supposé conduire la
négociation avec les Etats-Unis d’un traité de partenariat connu sous le sigle
TTIP. Ce projet, visant à unifier des normes dont on espère qu’elles
s’imposeraient universellement, suscite une forte opposition, notamment en
Allemagne et en Autriche. Les adversaires redoutent un affaiblissement des
protections sociales et environnementales de même que l’arbitrage privé en cas
de conflits que demandent les négociateurs américains. La Commission, qui est
en charge des négociations, demande aux gouvernements de lui accorder dans les
capitales le même degré de soutien qu’ils affichent à Bruxelles.
La décision de la BCE de racheter les
titres de créance détenus par les banques semble avoir été prise contre l’avis
de la Bundesbank mais avec l’accord tacite de la Chancelière. Les opérations
ont commencé en mars. Elles ont contribué, avant même leur entrée en vigueur, à
la normalisation du cours de l’euro que nos exportateurs attendaient depuis
longtemps.
La révélation de l’ampleur des
concessions fiscales consenties par le Luxembourg alors que Jean-Claude Jungker
exerçait les fonctions de ministre des finances a suscité de forts remous. Cette
affaire a contribué à créer un climat favorable à une lutte contre l’évasion
fiscale des grandes firmes.
Le gouvernement Tsipras issu des
élections grecques du 25 janvier poursuit de difficiles négociations avec ses
partenaires de la zone euro. Il s’agit d’obtenir un programme de réformes
précis en échange d’une aide supplémentaire. Les Grecs ont obtenu que leur
problème soit débattu au niveau politique. Ils se heurtent au refus de pays
parfois plus pauvres qu’eux de les dispenser de l’effort communément accepté.
Il n’est pas possible de prévoir l’issue de cette négociation. Est-il
souhaitable qu’elle réussisse ? Certains en doutent car ils ne font pas
confiance à la capacité, voire à la volonté de redressement du gouvernement
Tsipras. Un Grexit n’en serait pas
moins ressenti comme un échec de l’Europe.
La négociation bilatérale entre la
Chancelière et le Premier ministre grec est un signe parmi d’autres de la
position dominante de l’Allemagne. Celle-ci ne résulte nullement d’une volonté
hégémonique mais de la faiblesse de ses partenaires. D’où viendra le
sursaut ?