25 novembre 2013

L'Europe sans voix face à Poutine

Paris, 25 novembre. A force de pressions, Poutine a réussi à dissuader le président ukrainien Ianoukovich de conclure un accord de partenariat avec l’UE. Jusqu’alors le gouvernement ukrainien était demandeur. Il s’agit d’un grave échec géopolitique de l’UE et de sa politique du partenariat oriental, elle-même inscrite, avec la politique méditerranéenne, dans la politique de voisinage. Il est dommage qu’aucun porte-parole de l’Union n’ait donné les raisons de cet échec. Parmi celles-ci figure sans aucun doute la division des Etats membres dans leur relation avec la Russie, notamment en matière d’approvisionnements énergétiques. Une Union plus cohérente et donc plus forte aurait été en mesure de convaincre les Russes qu’une association de l’Ukraine à l’UE n’était pas incompatible avec des liens étroits avec la Russie.

13 novembre 2013

Une manoeuvre redoutable

Après une assez longue interruption, je reprends mes commentaires de l'actualité européenne. Lors des négociations préalables à la signature du traité de Maastricht, un brillant diplomate français, Pierre de Boissieu, qui deviendra ensuite secrétaire général du Conseil, avait réussi à torpiller le projet d’inspiration fédéraliste de Delors repris par les Pays-Bas au titre de la présidence semestrielle. Au schéma Delors illustré par un arbre, tronc commun, Boissieu opposa, avec succès celui d’un temple à trois piliers. Ainsi la politique étrangère (deuxième pilier) et les questions de police et de justice (troisième pilier) échapperaient à la méthode communautaire. Cette présentation habile permit à François Mitterrand d’obtenir l’acquiescement du chancelier Kohl au projet d’union monétaire sans prendre aucun engagement contraignant pour l’union politique. Le même Pierre de Boissieu est aujourd’hui à la manœuvre en vue d’écarter tout projet de réforme de l’UE d’inspiration fédéraliste ou même tout simplement communautaire. Ayant obtenu l’appui de l’ancien commissaire portugais Vitorino et de deux anciens représentants permanents, le britannique Wall et le Néerlandais, de Bruijn, il vient de remettre à François Hollande une note que l’on peut trouver sur internet (www.synopia.fr) et dont le Monde du 24 octobre a présenté une analyse sous la signature d’Arnaud Leparmentier. Emanant d’excellents connaisseurs des arcanes européennes, cette note reflète, sans l’exprimer ouvertement, la thèse suivant laquelle la seule légitimité serait celle des Etats. Ecartant un saut fédéral sans lequel on voit mal comment l’avenir de la monnaie unique pourrait être durablement assuré, ils contestent la nécessité de rapprocher l’Europe des citoyens et fondent leur espoir d’une relance sur la seule coopération entre gouvernements, sans nouveaux transferts de compétences et sans renforcement des institutions en charge de l’intérêt général, à savoir la Commission et le Parlement. Or l’histoire des dernières années a démontré qu’à défaut d’institutions communes fortes, les décisions nécessaires pour faire face à la crise n’étaient jamais prises dans les délais qui auraient garanti leur efficacité à un moindre coût. Cet automne même, le Parlement a réagi aux révélations sur l’ampleur de l’espionnage des Etats-Unis avec plus de vigueur qu’un Conseil européen de plus en plus paralysé par son hétérogénéité et ses divisions. La note Boissieu s’inscrit dans une tradition de la diplomatie française à la recherche d’un compromis entre deux démarches contradictoires : progrès de l’intégration et sauvegarde de la souveraineté. Ce compromis a donné des résultats favorables aux intérêts français lorsque notre pays, appuyé sur l’entente avec une Allemagne d’avant la réunification, exerçait sur ce qui était alors la Communauté un leadership incontesté. Nous sommes aujourd’hui dans une autre époque. Nos chances d’orienter les politiques européennes dans un sens plus favorable à nos vues (cohérence des politiques en vue d’un retour à la croissance) résident de plus en plus dans la fédéralisation. Or la chance veut que l’Allemagne, par tradition historique, y soit encore favorable, en dépit des implications financières de la fédéralisation, car la politique allemande n’est elle-même pas exempte de contradictions. Il est vrai que l’euroscepticisme nourri par la crise et le rôle de bouc émissaire si commodément attribué à « Bruxelles » oblige à différer l’inéluctable saut fédéral jusqu’à ce que le balancier oscillant de l’opinion ne revienne, au moins dans l’eurozone à une position favorable à de nouveaux progrès dans l’intégration. Au lieu de renoncer à rapprocher l’Europe des citoyens, sous le prétexte qu’elle en sera toujours éloignée, il conviendrait plutôt de saisir toute occasion, notamment la commémoration de la guerre de 1914, pour rappeler ce que nous devons à l’Europe. Au-delà de la paix dont les jeunes générations mesurent mal le prix et la fragilité, c’est de plus d’intégration que nous pouvons attendre le retour à une ère de progrès économique, social et écologique. Curieusement, ceux-là même qui vouent l’Europe aux gémonies reconnaissent volontiers que c’est au niveau européen que pourraient être trouvées des solutions appropriées à la plupart de nos problèmes, retour de la croissance, énergie, écologie, immigration, capacité d’intervention extérieure. Pierre de Boissieu et ses co-auteurs reconnaissent le rôle essentiel de la Commission et souhaitent à juste raison que son effectif soit réduit, ainsi que les traités l’avaient prévu avant une promesse inconsidérée faite aux Irlandais. Mais redoutant la politisation, ils ne sont pas favorables à ce que le choix du président de la Commission fasse l’objet d’une campagne électorale, chaque parti désignant son candidat avant les élections européennes. Madame Merkel semble les rejoindre en s’opposant à ce que le Parlement monopolise le pouvoir de désignation. Rappelons qu’en vertu du traité de Lisbonne, le Parlement élit la Commission sur la base d’une proposition du Conseil européen tenant compte du résultat des élections. Politiser la Commission ne signifie évidemment pas un collège monocolore, mais un collège dont le président et la composition reflètent les diverses orientations révélées par le scrutin. Plus décisive serait la réforme dont personne n’ose parler, celle qui confierait au président désigné le soin de choisir ses collègues, en fonction des compétences et d’un équilibre géographique n’impliquant pas que chaque Etat dispose d’un commissaire. Assurer la visibilité de l’Union à l’extérieur mais d’abord pour ses citoyens, commanderait enfin la fusion des présidences de la Commission et du Conseil européen, préconisée, après beaucoup d’autres par le président du Conseil italien, Enrico Letta, mais rejetée par les anti-fédéralistes qui redoutent l’émergence d’une légitimité européenne susceptible de concurrencer celle des Etats. L’élection du président, après une campagne électorale serait le meilleur moyen de lutter contre l’abstentionnisme, ainsi que ne cesse de le rappeler Alain Lamassoure. Renforcer la légitimité du Parlement devrait être un objectif essentiel. La note Boissieu, tout en rendant hommage à la qualité de son travail législatif, propose de l’affaiblir en lui substituant, pour le contrôle de la zone euro, une Assemblée composée, pour l’essentiel, de délégués des parlements nationaux. La participation des parlementaires ressortissants de pays non encore membres de la zone euro mais décidés à la rejoindre ne devrait pas soulever d’objections. Il n’en est pas de même des pays qui, tels le Royaume-Uni et le Danemark, ont obtenu une dérogation où, comme la Suède, se la sont octroyée. Cela pose le problème de la différenciation dans l’intégration qui ne peut recevoir de solution satisfaisante que par la constitution d’un noyau fédéral ouvert, jouant le rôle de pionnier de l’intégration, sinon d’aimant qu’il ne manquerait pas de devenir en cas de succès. La faute initiale que nous payons aujourd’hui est d’avoir accepté les élargissements successifs, l’adhésion du Royaume-Uni en 1972, celle des Neutres en 1985, celle des anciennes démocraties populaires en 2005, sans véritable clarification des finalités de l’Union. L’organisation d’une Europe à plusieurs vitesses, généralement admise aujourd’hui, suppose un accord sur le but vers lequel on se dirige, fût-ce à des vitesses différentes. Robert Toulemon