29 mars 2011

Deux lectures stimulantes

Paris, 29 mars. Mes excuses tout d’abord pour le retard d’envoi de mon dernier message imputable à une fausse manœuvre de ma part.
Laurent Cohen-Tanugi est un des observateurs les plus perspicaces de la construction européenne. Son dernier ouvrage « Quand l’Europe s’éveillera » (Grasset, 9 €) constate en 128 pages le fiasco de l’Europe des Etats et dénonce l’illusion suivant laquelle la coopération entre Etats pourrait, mieux que l’intégration supranationale, faire avancer l’union des peuples européens.Ce n'est pas l'excès d'intervention de l'Union qui rend l'Europe impopulaire mais l'impuissance à laquelle la condamnent des dirigeants nationaux inconséquents. Les seuls domaines où l’Europe parvient à exister dans la mondialisation et à défendre ses intérêts sont ceux qui ont été fédéralisés : la régulation de la concurrence et du marché unique, la politique monétaire et la politique commerciale internationale. Quand les Etats voudront l’Europe, ils devront lui donner les moyens de son ambition, en assumant une relance de l’intégration : budget permettant de financer un plan de relance de dimension européenne, alimenté par des ressources propres, abandon du veto pour la ratification des traités, création d’une vie politique européenne en émancipant le mode d’élection du Parlement européen de logiques purement nationales.
A ceux qui seraient démoralisés par le sévère diagnostic de Cohen-Tanugi, je conseille la lecture d’un autre petit livre « Un petit coin de paradis » d’Alain Minc (Grasset 9 €)
Qu’il s’agisse de leur modèle social, de leurs libertés, de leur démocratie, de leurs institutions, celles des Etats mais aussi celles de leur Union si décriées, les Européens ignorent leur exceptionnelle réussite. L’apport le plus original de Minc consiste dans une saisissante évolution comparée de la démocratie sur les deux rives de l’Atlantique. Naguère en avance sur l’Europe sur à peu près tous les terrains, les Etats-Unis apparaissent aujourd’hui retardataires. En témoignent la peine de mort, la justification de la torture, l’enseignement du créationnisme, le financement privé illimité des campagnes électorales, l’élection de Bush arbitrée par la Cour suprême sans recompte des voix de la Floride, la résistance aux régulations financières, l’élargissement sans précédent des échelles de revenus, l’absence jusqu’à la récente législation d’Obama, si violemment contestée, d’un cadre général de protection sociale. « Les Européens peuvent, pour la première fois de leur histoire, prétendre qu’ils n’ont « ni Dieu, ni maître ». Ils sont bien les seuls au monde à connaître cette situation bénie. Mais inconscients, une fois de plus, de leur propre réussite, ils n’en ressentent aucune fierté. »
Je publierai prochainement dans la Revue Futuribles et dans les Cahiers d’ARRI une recension plus substantielle de ces deux petits bréviaires stimulants et complémentaires.

25 mars 2011

Quelques questions et une suggestion

Paris, 20 mars 2011.
Merci d’abord aux jeunes animateurs du Taurillon pour leurs encouragements à l’issue du Conseil national du Mouvement européen, hier après-midi, auxquels je suis très sensible.
L’intervention en Libye décidée par le Conseil de Sécurité marque un progrès vers cette gouvernance mondiale sans laquelle l’avenir de la civilisation, sinon de l’espèce humaine ne saurait être à long terme garanti. Elle n’en pose pas moins de sérieuses questions.
Comment ne pas éprouver un malaise face au deux poids deux mesures ? Pourquoi les révoltés de Bahreïn n’ont-ils pas droit à la même protection que ceux de Libye ? On connait la réponse : l’Arabie saoudite et son pétrole pèsent trop lourd.
Que reste-t-il de la politique étrangère et de sécurité commune après l’abstention de l’Allemagne ? Alain Juppé, dont on s’accorde à reconnaître les mérites et une autorité personnelle qui manquait à la plupart de ses prédécesseurs, a-t-il déployé tous les efforts possibles pour éviter ce très grave échec de l’Europe organisée ?
Cette affaire montre la nécessité d’une réflexion sur la conciliation nécessaire des politiques nationales et de celle de l’Union. Ne pourrait-on admettre la possibilité de décisions majoritaires permettant une action de l’Union en tant que telle, tout en permettant aux Etats minoritaires de ne pas y prendre part, en tout ou en partie ?

12 mars 2011

Succès européen, inquiétudes britanniques

Paris, 12 mars. L’accord conclu hier au Sommet des Dix-sept importe autant par son cadre limité aux membres de la zone euro que par son contenu, encore que celui-ci ne soit pas négligeable. Un premier pas vers une vraie coordination des politiques économiques est franchi faisant la part plus belle à l’assainissement nécessaire des finances publiques qu’au soutien non moins nécessaire à la croissance. On ne peut que se féliciter de la fermeté opposée à l’Irlande dont le nouveau gouvernement refuse tout relèvement de son impôt sur les sociétés et douter que les concessions consenties à la Grèce suffisent à lui éviter un défaut de paiement. La lecture du dernier n° du célèbre hebdomadaire The Economist révèle l’inquiétude des dirigeants anglais face au renforcement d’un eurogroupe d’où les exclut leur refus non seulement de la monnaie unique mais de tout progrès de l’intégration.

04 mars 2011

L'Europe au défi des révolutions arabes

Paris 4 mars. La vague qui soulève les peuples arabes, du Maghreb à la péninsule arabique, est à la fois un succès et un défi pour l’Europe. Succès de nos valeurs – pour la première fois, la fameuse rue arabe ne se dresse pas contre l’impérialisme occidental mais contre ses propres dictateurs et exploiteurs – défi de faire entendre une voix forte parce qu’unie et surtout de répondre aux attentes de l’autre rive en se gardant de l’ingérence comme de l’indifférence. La juste voie est difficile à définir. Comment ne pas accueillir une partie de ceux qui chercheront asile sur nos côtes quand ils mesureront l’abîme qui risque de s’ouvrir bientôt entre les espoirs nés de la liberté et les contraintes impitoyables de l’économie et de la démographie ? Comment répartir la charge plus équitablement ? Comment obtenir, question jamais posée alors qu’elle est la seule solution rationnelle et humaine, comment obtenir que les immenses richesses de la péninsule arabique soient mises au service de l’ensemble de la région ? Beau sujet qui devrait donner lieu à un dialogue entre l’UE et les Etats-Unis dont on sait à quel point leur importe l’avenir du royaume saoudien. Autre sujet sur lequel les Européens devraient se faire entendre : le scandale que constitue le récent véto opposé par les Etats-Unis à une résolution, par ailleurs unanime, du Conseil de Sécurité condamnant la poursuite de la colonisation des territoires palestiniens.